GERMINIE LACERTEUX, Edmond et Jules de Goncourt Fiche de lecture
Un « roman vrai »
La préface du livre, au-delà de son ton provocateur à l'égard des lecteurs, renvoyés à leurs goûts futiles et conventionnels ‒ « Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai » ‒, expose le projet esthétique et moral des Goncourt. Il s'agit de s'inscrire résolument dans la modernité, de montrer le « vrai » visage de la société contemporaine, donc de donner à « ce monde sous un monde, le peuple » une dignité en haussant ses souffrances au niveau de la tragédie et en lui offrant enfin une place centrale dans cette « grande forme sérieuse, passionnée, vivante, de l'étude littéraire et de l'enquête sociale » qu'est désormais le roman. Et cela même au prix du rejet, voire du scandale. C'est cette audace qu'Émile Zola s'empresse de saluer, à la parution du roman, dans Le Salut public de Lyon : « À ceux qui prétendent que MM. de Goncourt ont été trop loin, je répondrai qu’il ne saurait en principe y avoir de limite dans l’étude de la vérité. »
Zola ne tardera pas à assortir cet éloge de critiques sur la faiblesse de l'intrigue, réduite au récit linéaire de la descente aux enfers de l'héroïne, scandée par une succession de scènes frappantes, de descriptions minutieuses, de dialogues pittoresques, de transcriptions de sensations. Si nous sommes loin de l'architecture puissante et du souffle épique des Rougon-Macquart,le roman fait néanmoins coexister deux histoires parallèles, certes déséquilibrées : celle de Germinie, centrale, et celle de Mlle de Varandeuil, secondaire mais structurante à plus d’un titre. D'abord, elle encadre en quelque sorte le récit de la vie de Germinie. Ensuite, elle organise la thématique de la double vie avec son jeu d'antithèses symboliques ‒ pureté/souillure,humanité/bestialité... Enfin, elle met en place un intéressant jeu de miroirs, Mlle de Varandeuil étant censée incarner ici le rôle, ambivalent, des auteurs eux-mêmes. Car ceux-ci, comme ils l'ont rapporté, puisèrent l'inspiration du roman dans la découverte de la double vie de leur propre bonne, Rose Malingre.
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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