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RÓHEIM GEZA (1891-1953)

En même temps qu'il élabore, sur des bases cliniques, sa théorie psychanalytique, Freud étend le champ de son investigation à toute la culture, selon le principe formulé dans Totem et Tabou (1912) : « On retrouve dans le complexe d' Œdipe les commencements à la fois de la religion, de la morale, de la société et de l'art. » Ce n'est pas seulement l'œdipe, mais tout l'appareil conceptuel de la psychanalyse que Róheim introduit dans la recherche anthropologique ; premier psychanalyste à se rendre sur le terrain pour une enquête ethnographique, il analyse les rêves des indigènes mais aussi le jeu des enfants, il traque les processus primaires et les fantasmes archaïques dans les chants, les mythes, les croyances, les cérémonies et les pratiques de toutes sortes ; il propose une doctrine efficace fondée sur les concepts de trauma ontogénétique et de juvénilisation. Pionnier de l'anthropologie psychanalytique, Róheim met son immense érudition et son sens aigu du travail de l'inconscient au service d'une prospection novatrice du monde onirique, défini comme réalité humaine totale, dans son dernier et monumental ouvrage, Les Portes du rêve.

Psychanalyse et anthropologie

Né à Budapest en 1891 dans une famille de riches commerçants, Géza Róheim, après une solide formation classique, poursuit à Leipzig, puis à Berlin, des études d'anthropologie que couronne un doctorat de philosophie, section géographie. Il étudie avec passion les premiers grands travaux des psychanalystes, Freud, Sandor Ferenczi, Karl Abraham, Otto Rank : « Ce fut sans résistance, dit-il, que j'acceptai ce principe général : la clef des données anthropologiques doit être cherchée dans les processus inconscients ou primaires. » Il en fait dès 1911, avec Dragons et tueurs de dragons, la démonstration sur le folklore hongrois, dans une série d'articles publiés dans la revue Ethnographia. Au cours des années 1915-1916, il se fait psychanalyser par Ferenczi, puis par Mme Vilma Kovacs. Un essai sur Le Soi paru dans Imago (1921) et une étude sur le totémisme australien lui valent le prix Freud de psychanalyse appliquée. Róheim partage son temps entre l'étude et la pratique de la psychanalyse et le dépouillement d'une vaste littérature anthropologique, qui aboutissent à un fort ouvrage sur Le Totémisme australien (Londres, 1925).

Grâce à une subvention de Marie Bonaparte, Róheim entreprend en 1928, avec sa femme Ilonka, un grand périple ethnographique : après un bref séjour en Somalie, il passe plusieurs mois dans la région d'Alice Springs, au cœur du continent australien, à étudier les tribus « les plus primitives du globe » ; il séjourne ensuite près d'un an à l'île Normanby, en Mélanésie, accumulant les matériaux pour riposter aux assertions de l'ethnologue Malinowski qui, de ses observations sur la vie sexuelle aux îles Trobriand, avait conclu à l'absence du complexe d'Œdipe dans une société matrilinéaire. Au retour, traversant les États-Unis, il séjourne quelque temps en Californie pour étudier les Indiens Yuma. L'essentiel de ses observations est condensé dans sa Psychanalyse de types culturels primitifs (1932).

L'expansion du nazisme en Europe contraint Róheim – triplement menacé en tant que juif, psychanalyste et démocrate – à s'exiler aux États-Unis en 1938. Il travaille pendant deux ans au Worcester State Hospital, étudiant à fond un cas de schizophrénie rapporté dans Magie et schizophrénie. Installé à New York, il poursuit activement ses recherches interdisciplinaires : il pratique la psychanalyse, donne des cours, élabore ses matériaux ethnographiques dans de nombreux articles de revues et quelques ouvrages de premier plan ; Origine et fonction de la culture (1943) montre Éros à l'œuvre dans les formations culturelles, tandis que[...]

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Écrit par

  • : maître assistant à l'université de Paris-VIII

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