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GHETTO

D'origine italienne incertaine – l'on peut y voir une corruption de giudeica (latin : judaicam) ou de gietto (fonderie de canons de Venise, site du quartier juif) –, le terme « ghetto » désigne un groupement topographique, ethnique, économique, juridique, culturel et historique. C'est à proprement parler le quartier où les juifs étaient contraints de vivre. Cette relégation d'une population – parfois dense – détermina un paysage urbain spécifique qui survécut à l'institution elle-même. Des règlements oppressifs ecclésiastiques, gouvernementaux, municipaux s'imposaient de l'extérieur au ghetto, limitant les chances économiques et sociales des juifs, réduits à n'exercer que la fonction voulue par l'environnement. Répondant à leur exclusion, les juifs créèrent une civilisation fondée sur une relative autonomie sociale, religieuse, culturelle et même politique et un type d'homme apte à surmonter l'aliénation. L'institution du ghetto est typiquement médiévale ; elle survécut pourtant jusqu'au cœur du xixe siècle en Europe ; en pays musulman, elle resta la norme jusqu'au xxe siècle. De 1933 à 1945, l'Allemagne nazie planifia et réalisa une renaissance accélérée du ghetto ; elle en fit le plus clair de son programme social et dégagea sa visée ultime : constituer une étape commode vers la « solution finale » du problème juif.

Aujourd'hui, le concept de ghetto s'est généralisé : il désigne un ensemble topographique affecté, si l'on peut dire, à une minorité déshéritée (tels les Noirs, surtout aux États-Unis). La pression extérieure constitutive du ghetto est purement économico-sociale : le ghetto actuel, sécrétion de sociétés évoluées, transcende la loi et le droit. Répond-il à une nécessité ou à une volonté collective ?

Le quartier juif médiéval

S'il existe dans le haut Moyen Âge un quartier juif dans plusieurs villes, les juifs ne sont pas contraints d'y résider. Si, parfois même, de tels quartiers sont établis par un prince, il n'est pas encore question d'y confiner ses habitants. En 1084, par exemple, à Spire, l'évêque Rüdiger crée en faveur des juifs un quartier entouré de murs, afin de les attirer dans sa cité. La charte stipule qu'il sera clos pour sa défense, que les juifs pourront commercer dans leur quartier et au-dehors, qu'il leur est concédé un cimetière, qu'ils peuvent faire venir des juifs étrangers parmi eux, que leur bourgmestre sera l'égal de celui de Spire, qu'ils monteront la garde sur leurs murs et défendront la cité en commun avec les archers de l'évêque... Ailleurs, des quartiers juifs apparaissent dans des conditions analogues : établis dans une ville, les juifs obtiennent l'octroi d'un secteur géographique dit juiverie, jutarie, rue des juifs, juderia (des milliers de toponymes « juifs » sont conservés en Europe – particulièrement en France et en Espagne –, en Afrique du Nord, en Asie). Les fondations matérielles du ghetto étant posées, l'essentiel manque encore, la contrainte. Le principe d'une ségrégation forcée est défini par le IVe concile du Latran (1215). Afin d'éviter que des chrétiens aient des rapports sexuels avec eux, juifs et sarrasins seront distingués par leurs vêtements. Un mandement de Philippe le Bel du 18 juin 1294 au sénéchal de Beaucaire lui enjoint d'installer les juifs de la ville dans un quartier séparé ad scandala evitanda. Le xiiie siècle marque le passage du quartier librement habité par les juifs au ghetto. L'évolution est plus lente en Espagne, mais, en 1480, les souverains Très Catholiques ordonnent aux municipalités de contraindre les juifs à vivre dans des rues isolées de celles des chrétiens. Dans la petite ville de Palencia, on leur affecte ainsi la rue Maria Gutieres[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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Média

Ghetto de Varsovie - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Ghetto de Varsovie

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