GHETTO
Physionomie du ghetto : Rome et Prague au XVIIe siècle
Le voyageur français François Deseine décrit ainsi le ghetto de Rome : « On appelle il gheto le quartier des juifs, qui est entouré de murailles et fermé de portes, afin que la nuit cette perfide nation n'ait aucune communication avec les chrétiens ; et, comme ils ne peuvent habiter ailleurs ni étendre leur quartier, qui est bordé d'un côté par le Tibre et de l'autre côté par la rue de la Poissonnerie, et parce qu'ils sont en fort grand nombre, cette canaille multipliait extrêmement ; cela est cause que plusieurs familles habitent dans une même chambre, ce qui rend une puanteur perpétuelle et insupportable par tout le quartier » (Description de la ville de Rome..., 1690).
Le ghetto romain comptait, en 1676, 134 maisons sur moins de 3 hectares pour quelque 4 500 habitants (chiffre de 1668), soit une densité de 1 500 habitants à l'hectare (on en recense 1 200 dans les bidonvilles nord-africains du xxe siècle). L'espace était inégalement réparti entre riches et pauvres, et des dépôts de marchandises en occupaient une portion notable. Les meilleures rues servaient de marché permanent avec éventaires de vieux habits devant chaque porte, échoppes minuscules et sombres où s'exerçaient mille métiers : ganterie, boutonnerie, friperie, fabrication d'allumettes, couture. La population comprenait 20 banquiers, 180 commerçants et une pléthore de pauvres voués à un chômage endémique. L'inondation annuelle du Tibre transformait le ghetto en un cloaque nauséabond générateur de malaria.
À Prague, la Judenstadt, appelée au xviiie siècle Josefstadt en l'honneur de Joseph II, était le plus grand ghetto européen. Pourvu de neuf portes, il abritait plusieurs marchés, de multiples synagogues dont la Klauss Synagogue, l'Altneuschul, la Pinkasschul ; il s'enorgueillissait d'un hôtel de ville juif, le Rathaus, surmonté d'une horloge au cadran hébraïque et arabe dont les aiguilles tournaient à l'envers. Son cimetière, le Judengarten, renferme des pierres tombales très anciennes. Parcourues solennellement en 1566 par l'empereur Maximilien II et l'impératrice, que les juifs avaient accueillis en grande pompe, ses rues étroites étaient fort animées. Des guildes juives unissaient les artisans du ghetto, leur permettant de s'entraider et de se défendre au besoin contre les corporations chrétiennes. Le quartier comptait quelque 10 000 juifs parmi lesquels les épidémies faisaient fréquemment des ravages.
Rues étroites, maisons construites en hauteur, manque de lumière et d'eau, surpopulation, promiscuité, misère, ces traits définissent le ghetto : celui de Cologne était dit Engegasse, rue étroite.
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Écrit par
- Gérard NAHON : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
Média
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