GHETTO
Législation imposée au ghetto
Le principe de reléguer les juifs dans un quartier étroit et insalubre étant admis dans le monde chrétien ou musulman, son application réglementaire variait selon les États et les princes. Partout en Europe, on imposait, d'une part, la fermeture des portes du ghetto, la nuit, de l'extérieur et de l'intérieur, d'autre part, l'interdiction pour les juifs de quitter le ghetto après l'Ave Maria, les dimanches et jours de fêtes chrétiennes. Pour Rome, l'encyclique Cum nimis absurdum de Paul IV (1555) fut complétée par diverses instructions pontificales. Elles établissaient que le ghetto n'aurait qu'une entrée et une sortie ; que les juifs n'y auraient qu'une synagogue ; qu'ils ne pourraient y posséder d'immeubles leur appartenant ; qu'ils porteraient un chapeau jaune et un signe distinctif, la rouelle cousue sur leur vêtement ; qu'ils ne pourraient accueillir des juifs venus d'ailleurs. En 1623, Urbain VIII décréta que, lors des audiences accordées aux représentants de la communauté juive, ceux-ci ne baiseraient plus son pied, mais le plancher sous son pied. Chaque année, au moment du carnaval, les juifs devaient aussi présenter leurs hommages au Sénat romain dont le conservateur posait le pied sur la nuque d'un rabbin et congédiait la délégation. La bulle Sancta Mater Ecclesia (1584) institue des sermons obligatoires dits predica coattiva auxquels sont contraints d'assister, dans une église, le samedi après-midi, 150 à 300 juifs, comptés à l'entrée par les gardes pontificaux. Le Saint-Siège légalise les enlèvements d'enfants du ghetto : on les place dans des couvents où, loin de leurs parents, ils sont élevés dans le catholicisme. La confrérie de Saint-Joseph s'occupe de convertir les adultes ; les convertis vivent dans des « maisons de catéchumènes » dont l'entretien est assuré par une taxe perçue sur les juifs (bulle Pastoris aeterni vices de Jules III, 1554). Des ordonnances restreignent aussi l'activité économique du ghetto : c'est ainsi qu'en 1724 Innocent XIII ne permet aux juifs que le commerce des vieux vêtements, des chiffons, de la ferraille.
En terre d'Islam, la législation du ghetto, toujours conçue pour abaisser le juif, pouvait varier. À Ispahan, les juifs ne devaient pas sortir de leur quartier en temps de pluie car leur contact avec les habits humides des musulmans était censé rendre ceux-ci impurs. À Azemmour (Maroc), hors de leur mellāḥ, ils devaient, jusqu'en 1884, marcher pieds nus. Il leur est interdit de blanchir leurs murs ; l'entrée de leurs maisons doit être basse ; le port de la rouelle, tombé en désuétude, fut imposé de nouveau aux juifs de Téhéran en 1897. Presque partout, le nettoiement des lieux d'aisance de toute la ville est une corvée imposée aux juifs.
La législation du ghetto laisse subsister une précarité permanente : une crise, un caprice du prince suffisent pour expulser tous les habitants du ghetto. Les expulsions massives de Vienne (1670) et de Prague (1744) sont restées célèbres. En pays arabe, les expulsions sont innombrables ; maître de ses juifs, le seigneur les dépouille entièrement et les chasse quand il lui plaît. Charles de Foucauld écrivait, vers 1884, parlant du Maroc : « On voit des villages dont tout un quartier est désert ; le passant étonné apprend qu'il y avait là un mellāḥ (quartier juif) et qu'un jour les sids (seigneurs), d'un commun accord, ont tout pris à leurs juifs et les ont expulsés. »
Une loi universelle non écrite permettait à la populace, en temps de crise, de donner l'assaut au ghetto, pillant, violant, tuant à loisir, sans que la force publique intervienne. Les massacres en masse les plus fameux sont ceux de l'Aragon et de la Castille de 1391, de Francfort de 1614,[...]
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Écrit par
- Gérard NAHON : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
Média
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