GHETTO
Civilisation du ghetto classique
Dans le ghetto, les juifs, réagissant contre leur rejet du corps urbain, perfectionnent le système de leur communauté médiévale. Des assemblées générales ou restreintes élisent des parnassim ou syndics, des conseils et commissions chargés du gouvernement et de l'administration de leur cité. Celle-ci est réglée par des statuts constitutionnels dits taqqanot, soumis périodiquement à un vote populaire et concernant la vie religieuse, sociale, juridique, économique, politique même. Les actes des kāšērīm (constituants) du ghetto de Posen, récemment publiés, comprenaient 2 269 taqqanot pour la période 1621-1855 ; étaient définis le mode de scrutin, la composition des tribunaux, l'assiette des impositions, les services de la voirie, la dotation des jeunes filles pauvres... La Ḥazaqqah interdisait à tout juif, sous peine d'excommunication, de chercher à évincer un locataire juif de son logement en offrant au propriétaire chrétien un loyer plus élevé. À Rome, les règlements municipaux et pontificaux durent reconnaître cette loi qu'ils appelaient jus Gazaga. Le locataire juif disposait ainsi d'un maintien dans les lieux illimité – un bail – qu'il pouvait vendre, transmettre à ses héritiers, offrir en dot à sa fille. Des institutions d'enseignement, allant de l'école élémentaire à l'académie talmudique, assuraient à tous au minimum l'apprentissage de la lecture et de l'écriture hébraïques, l'hébreu étant la langue de la liturgie, des manuels scolaires, des actes officiels de la communauté. Une langue populaire servait aux besoins quotidiens dans le ghetto ; le judéo-allemand ou yiddish en Europe orientale et en Allemagne, le judéo-espagnol ou ladino de l'Afrique du Nord aux Balkans ; divers dialectes judéo-arabes étaient également en usage. Dans la correspondance, on écrivait ces langues en caractères hébraïques ; une littérature importante parut aussi en yiddish et en ladino (Pologne et Empire turc).
L'observance religieuse restait l'antidote par excellence de l'aliénation inhérente au ghetto. Les fidèles se retrouvaient chaque jour dans diverses synagogues (qui, à Rome, étaient superposées, du fait des règlements pontificaux), appelés à la prière par le Schulklopfer ou bedeau. Les synagogues dépendent souvent de guildes, de métiers ou de confréries : celles des bouchers, tailleurs, cordonniers, orfèvres de Prague sont parmi les plus actives. La pratique religieuse détermine encore le fonctionnement semi-public d'une boucherie rituelle, d'un four pour les azymes de la Pâque, d'un bain rituel, d'une salle pour mariages et fêtes familiales, d'un hôpital, d'une auberge pour les hôtes de passage, riches ou pauvres. Contre la misère, des sociétés œuvraient grâce à des taxes et cotisations perçues sur les gens aisés ; il y eut à Rome au xviie siècle jusqu'à trente sociétés juives de bienfaisance et d'entraide, vouées à quatre objectifs principaux : secours aux pauvres, enterrement des défunts, entretien des personnes âgées, éducation religieuse (‘Ozer dalim, Gemilut-Ḥasadim, Mosǎv Zeqenim, Sǒmer emūnim). À Mantoue existaient sept sociétés : le fonds pour la terre d'Israël, le fonds pour l'étude de la Tora, la caisse de charité, la caisse de miséricorde, la caisse pour doter les jeunes filles, la caisse pour la subsistance des pauvres, la caisse du rachat des captifs (capturés par les pirates barbaresques). Ces sociétés avaient leurs règlements votés, leurs conseils et assemblées, leurs parnassim élus et... leurs registres, mine d'informations pour l'historien. Les spectacles occupaient leur place au ghetto avec des réjouissances publiques organisées dans les rues lors de la fête des Pūrim. On jouait à Francfort, avec machinerie[...]
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Écrit par
- Gérard NAHON : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
Média
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