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GHOST DOG (J. Jarmusch)

<em>Ghost Dog</em>, J. Jarmusch - crédits : Abbot Genser/ Artisan Pics / The Kobal Collection/ Aurimages

Ghost Dog, J. Jarmusch

Né en 1953 dans l'Ohio, Jim Jarmusch fut dans les années 1980 un jeune cinéaste dans le vent et l'emblème du cinéma indépendant américain. Ses films, d'un noir et blanc poétique, étaient des errances mélancoliques (Stranger than Paradise, 1984), de lentes fuites erratiques traversées par des éclats de folie douce et de comique burlesque (Down by Law, 1986). Mais avec Mystery Train (1989) et Night on Earth (1992), les variations de Jarmusch sur le road movie se firent mécaniques, presque oiseuses, tandis que la notion de cinéma indépendant américain perdait, pour des raisons économiques et artistiques, toute pertinence. Ses repères précocement érodés par le passage du temps, des modes et des idées sur le cinéma, Jarmusch apparaît décalé, sinon dépassé dans les années 1990, qui voient pourtant la réalisation de ses deux plus beaux films, Dead Man (1995) et Ghost Dog (1999). Le cinéaste s'inspire alors de cette expérience du décalage, où il trouve les moyens d'une réflexion sur le travail d'usure du temps et la pérennité de certains signes (culturels notamment) qu'il y oppose. Ainsi, Dead Man est un western (genre donné pour mort en 1995) que son « héros » traverse avec une balle dans la poitrine. Mais ce processus de disparition se mue en une révélation, guidée par les rites de la culture indienne, de la force de l'esprit. Ghost Dog, La Voie du samouraï marque un pas supplémentaire dans cette avancée vers la sagesse.

C'est d'emblée comme un personnage détaché de l'ordre ordinaire des choses que Jim Jarmusch nous présente Ghost Dog (Forest Whitaker), tueur professionnel qui puise sa philosophie de la vie et son code moral dans Hagakuré, Le Livre secret des samouraïs. Sur les images de Ghost Dog viendront régulièrement s'inscrire quelques passages de cet ouvrage japonais du xviiie siècle auquel se référa souvent Mishima Yukio, et où l'on peut lire : « J'ai découvert que la voie du samouraï réside dans la mort. [...] Quand un samouraï est constamment prêt à mourir, il a acquis la maîtrise de la Voie et il peut sans relâche consacrer sa vie entière à son seigneur. » C'est là un résumé assez fidèle de l'histoire de Ghost Dog, dévoué à son « seigneur » – un mafioso minable qui, un jour, lui a sauvé la vie – jusqu'à accepter de mourir pour lui et par lui.

La « voie du samouraï » est donc bien dans la mort mais, par-delà le récit, qui accomplit les paroles du Hagakuré, c'est dans la mise en scène que Jim Jarmusch va chercher un écho sensible aux préceptes du livre. Le regard porté sur Ghost Dog et sur son interprète est particulièrement révélateur : le corps massif de Forest Whitaker suggère à la fois la mort (endormi, il semble un cadavre ; partout, il surgit comme l'image même de la mort), et tout ce qui la dépasse (Ghost Dog est aussi aérien, presque immatériel, ce qui tient autant à l'élégance du mouvement de l'acteur que de la caméra). Jarmusch déjoue du même coup les règles du film d'action dont Ghost Dog possède tous les ingrédients, les pliant, comme Jean-Pierre Melville dans Le Samouraï, mais à sa façon, aux exigences, d'un univers qui, sans être ouvertement stylisé comme celui de Tarantino, est pris dans un étrange flottement où se dissout le réalisme et où s'invite la poésie.

Dans Ghost Dog, ce flottement est pour beaucoup d'ordre temporel. La culture du Japon médiéval y rencontre les valeurs d'un clan de mafiosi fatigués, au milieu d'un décor urbain banalement actuel. Ce que Ghost Dog décrit ainsi à son « seigneur » : « Nous sommes comme deux tribus anciennes, toutes deux presque disparues, et tout semble changer autour de nous. » Ce décalage, Jarmusch le filme sous ses formes les plus variées, et souvent avec un certain humour. C'est la fille du chef mafieux s'abrutissant[...]

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<em>Ghost Dog</em>, J. Jarmusch - crédits : Abbot Genser/ Artisan Pics / The Kobal Collection/ Aurimages

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