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SCELSI GIACINTO (1905-1988)

Giacinto Scelsi est mort à Rome le 9 août 1988, dans sa quatre-vingt-quatrième année. La veille, avant de perdre conscience, il avait signifié qu'il rompait le contact avec ici-bas ce jour, le 8.8.88 (quatre fois l'infini !), symbole qui paraissait important à un homme né aussi le 8 janvier (1905, à La Spezia).

Une musique unique et inclassable

Après la disparition de Giacinto Scelsi, une imposante collection de disques a fait son apparition, image d'une fulgurante destinée posthume, amorcée déjà par la gloire tardive qui était venue illuminer les dernières années de son existence, après une « traversée du désert » sans doute plus longue et plus solitaire que pour tout autre grand créateur musical du xxe siècle, rançon d'une originalité sans pareille et d'une totale indépendance de caractère. Mais la controverse a continué à faire rage, l'hostilité de certains compositeurs n'a pas désarmé, allant jusqu'à contester que Scelsi soit vraiment l'auteur de sa musique. Et il est vrai qu'il travaillait avec des copistes et des assistants, de sorte qu'il n'existe pas de partitions holographes de ses œuvres de maturité. Face à l'adhésion enthousiaste d'un Xenakis, d'un Ligeti, d'un Morton Feldman, l'hostilité de Boulez, par exemple, est demeurée irréductible. Conflit de générations, d'options esthétiques fondamentales. Cette attitude est somme toute normale, car il s'agit (et cela, même ses adversaires ne peuvent le nier) d'un novateur, d'un créateur totalement original remettant en question les fondements mêmes de la composition musicale. La querelle de ceux qui reprochent à Scelsi l'absence d'« écriture » (au sens traditionnel du conservatoire : harmonie, contrepoint...) est exactement, et jusque dans les termes utilisés, celle de Vincent d'Indy et de la Schola cantorum attaquant Debussy ! Il est certain qu'une remise en cause aussi radicale d'options sur lesquelles la musique occidentale a vécu durant plus de huit siècles ne peut sembler que dérangeante, inquiétante, et même... subversive. Par ailleurs, le grand public, qui n'a d'autres préjugés à combattre que ceux de ses habitudes d'écoute, réagit avec enthousiasme à une musique dont l'impact très direct se situe à un niveau à la fois physique et spirituel, sans les barrières intellectuelles qui limitent l'accès de tant de musiques contemporaines à une petite élite. Le grand fossé séparant Scelsi de la tradition postsérielle est celui-là même qui oppose une conception métaphysique du son à la notion, traditionnelle en Occident, de tension du discours musical.

Mais le statisme de la musique de Scelsi est plus apparent que réel : sa dynamique, d'une force prodigieuse, se situe dans le devenir biologique du son, dont il explore toutes les dimensions intérieures les plus subtiles (par décomposition spectrale, par analyse infinitésimale de l'articulation, du grain, de la palette des couleurs et des nuances), libérant ainsi une énergie dont les ressources semblent sans limite. Et, de fait, énergie semble le mot clé, le secret de la force d'impact de la musique de Scelsi, ce qui le situe dans la grande lignée d'un Varèse ou d'un Xenakis, dont la musique est exactement complémentaire de celle de Scelsi, avec, d'ailleurs, une action tout aussi forte et efficace sur le public. Revanche séculaire du son sur la note, de la réalité acoustique sur les structures combinatoires où l'intellect a fini par l'emporter sur l'expérience vécue, du jour où la fin d'un système harmonique (modal, tonal, peu importe) a privé l'oreille du contrôle « vertical » de la simultanéité d'événements sonores. C'est pourquoi, après les musiciens du groupe de l'Itinéraire (Gérard Grisey, Tristan Murail, [...]

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