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LEOPARDI GIACOMO (1798-1837)

Le poète de la douleur maîtrisée

Comme pour beaucoup de grands esprits, la poésie et la pensée de Leopardi naissent sous le signe de la contradiction. Poète, il apparaît lié à la tradition néo-classique de son temps et prévenu contre les nouveautés romantiques. Le classicisme gréco-romain se présente au jeune Leopardi comme un « surmonde » mythique, caractérisé par des perfections à jamais disparues, et dont les modernes ne pourraient que donner nostalgiquement un faible reflet. Dans ses premières Canzoni (1824), rares sont les vers qui ne résonnent d'échos classiques (de Virgile à Pétrarque).

Aujourd'hui, cette poésie nous révèle pourtant un accent d'intimité alors neuf, presque sauvage, qui fait de Leopardi – et non seulement par ses dates – le plus moderne des classiques italiens. Dès le début s'affirme chez lui comme essentielle une tendance à isoler la secrète substance de la réalité sentimentale, à la réduire au pur dessin ou diagramme des mouvements de l'âme. Dans les premières « idylles », dans ce qu'on appelle « nouvelles idylles » et jusque dans les Canti (1835) de la dernière période, les mots dans l'harmonie complexe de leur syntaxe semblent se dépouiller de toute pesanteur rhétoricienne ou sensuelle, de toute référence historique insistante. C'est pourquoi, presque sans utiliser couleurs et métaphores, les détails relatifs aux saisons acquièrent pour le lecteur la vivacité, l'éclat des choses vues et entendues : dans l'Infinito, la haie « qui d'une si grande part de l'extrême horizon exclut le regard », ou, dans Silvia, les « routes dorées et les vergers » d'un paysage ensoleillé.

Ce mouvement « centripète » d'intériorisation, qui exprime dans ses architectures mélodiques le cours même de l'émotion, correspond au mouvement « centrifuge » qui tend à rassembler, avec du reste la même authenticité affective, tous les éléments étrangers à la biographie intime du poète, c'est-à-dire les efforts pour donner de l'homme et de la nature une explication intellectuelle, les considérations sur la société et sur l'histoire, les emportements satiriques et polémiques. Toute cette matière, qui constituait le fond des premières Canzoni, encore empêtrées dans les entraves de la rhétorique, avant les parfaites réussites de l'Ultimo Canto di Saffo (1822) et de Alla sua donna (1823), tend sourdement, dès le début, à la lumière poétique.

Leopardi croit néanmoins à l'inspiration, telle qu'il la décrit en quelques notes du Zibaldone (1898-1900), qui traitent, dans une perspective quasi physiologique, de la succession des états de tension et de relâchement affectifs. Ce qui explique la précieuse rareté de son œuvre lyrique, limitée au seul livre des Canti, et qui peut aussi expliquer pourquoi, pendant une période d'« aridité » qui dura environ cinq ans (1824-1828), il se replie sur la prose, écrivant alors la plus grande partie des Operette morali, ouvrage caractérisé par l'emploi des genres complexes et élaborés (mémorial, dialogue humoristique, comme chez Xénophon, Lucien, Voltaire, ce qui est déjà révélateur).

Les Operette sont un ouvrage à deux faces. D'un côté, Leopardi en appelle à « l'argument profond, tout philosophique et métaphysique » de son livre ; de l'autre, il déclare avoir fait de la « poésie en prose, comme il est d'usage aujourd'hui ». Sachons gré à la critique moderne d'avoir mis en valeur le caractère avant tout lyrico-fantastique de ce livre.

Entre les Canti et les Operette, il y a un rapport analogue à celui qu'on décèle entre les Fleurs du mal et les Petits Poèmes en prose de Baudelaire. Dans les Canti prévaut le ton lyrique, dans les Operette se déploient les demi-tons lyrico-prosaïques. Si le secret de la poésie[...]

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<em>Portrait de Giacomo Leopardi</em>, G. Gallucci - crédits : Claudio Ciabochi/ UCG/ Universal Images Group/ Getty Images

Portrait de Giacomo Leopardi, G. Gallucci

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