RODARI GIANNI (1920-1980)
Gianni Rodari était un personnage d'une vivacité mercurienne, aux activités multiples : ses livres étaient partout, il écrivait dans les journaux des chroniques, des reportages, des récits. À la radio, à la télévision, il était entouré d'enfants dont ses « histoires ouvertes » sollicitaient l'esprit critique et l'invention. Il allait dans les classes se mettre à l'épreuve de son public, travaillait avec les enseignants, participait à un congrès scout, à un débat d'intellectuels marxistes, à des colloques de littérature enfantine ou de pédagogie, dirigeait un Journal des parents.
Il y a du bateleur chez Rodari, et la verve de la tradition orale éclate sans cesse dans son écriture. Ses meilleures histoires séduisent tout de suite, en effet, par l'agilité d'esprit, par une plaisante désinvolture qui jongle avec les idées et les mots : une soucoupe martienne menace la banlieue romaine, mais ce n'est qu'un monstrueux gâteau (La Tarte volante, 1966) ; le petit écran avale son spectateur (Jip dans le téléviseur, 1962) ; le capitaine réclame un trinocle pour repérer un homme dans le ciel, à bord d'un cheval spatial harcelé par des archichiens (La Planète aux arbres de Noël, 1962).
On a lu ailleurs mille fantaisies de ce genre qui lassent par leur gratuité, mais ici tout paraît concret, les personnages sont pleins de vie et leurs aventures prennent un sens, révélant chez l'auteur un propos qui n'est ni caprice, ni nostalgie, ni esthétique pure. Rodari rend l'imaginaire convaincant lorsqu'il pousse des situations réelles jusqu'à leurs dernières conséquences ; ainsi apparaît l'absurdité d'une tyrannie ou l'horreur d'un esclavage, à moins qu'on ne débouche sur une utopie positive, sur un espoir, un but peut-être, pour demain. L'humour remet chaque chose à sa place.
Né en 1920 à Omegna, sur le lac d'Orta (Piémont), ce conteur fut un pédagogue militant. Instituteur à dix-neuf ans, il accepte après la guerre de quitter l'enseignement pour diriger une revue enfantine, devient journaliste, auteur et « pédagogue de la créativité ». En liaison avec le Mouvement de coopération éducative, expression italienne de la pédagogie Freinet, il se donne pour tâche de libérer l'enfant des contraintes éducatives en lui procurant les moyens de connaître la réalité par lui-même, de la critiquer pour tâcher de la transformer. Après un séminaire de créativité avec des enseignants, en 1972, où il a exposé et discuté tous les aspects de cette démarche, Rodari publie à l'intention des adultes une Grammaire de l'imagination, alerte et bourrée d'idées comme ses contes.
C'est, dit-il, Novalis, lu avant la guerre, qui lui a mis en tête l'idée première : « Si nous avions une Imaginatique, comme nous avons une Logique, l'art d'inventer serait découvert. » Dès lors, le jeune enseignant, bientôt conteur, trouve partout son bien, chez les surréalistes, dans les comptines et les nonsense, les devinettes et le folklore, dans les travaux de Propp sur la structure du conte – dont il tire un jeu créatif. Les enfants, surtout, lui apprennent sans cesse : ceux qui écoutent, ceux qui réussissent avec la bande dessinée l'apprentissage d'un système de codes, ceux qui écorchent les mots et l'orthographe – l'erreur créatrice, occasion de découverte –, ceux qui confrontent les histoires qu'on leur raconte à la réalité vécue et à leurs idées sur le monde. Rodari croit au pouvoir de l'imagination (ou plutôt de la fantasia, qui n'est pas vraiment son équivalent italien) pour l'épanouissement d'un « homme complet » ; il faut délivrer chez l'enfant cette faculté de connaissance, de critique et de création. L'humour et les jeux de langage sont ainsi des instruments de libération.[...]
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Écrit par
- Simone LAMBLIN : spécialiste de littérature enfantine, critique, responsable des publications de La Joie par les livres
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