GIBRALTAR
Le différend anglo-espagnol
À travers le conflit ouvert ou larvé qui ne cesse d'opposer Londres à Madrid s'affrontent deux mythes : celui de l'intégralité du territoire national, celui de l'esprit de l'empire. Salvador de Madariaga le constatait en 1918 : « Gibraltar, le Gibraltar que l'Espagne désire et veut, est corps du corps de l'Espagne. Gibraltar, le Gibraltar que l'Angleterre aime et possède, est l'âme de l'âme de l'Angleterre. »
Les efforts de conciliation et de conversations bilatérales tentés à plusieurs reprises par le gouvernement espagnol, en 1914, en 1919, en 1940, en 1950, en 1954, et en 1956, ayant échoué, l'affaire fut portée devant les Nations unies. Elle fut examinée par le Comité des 24, commission de l'O.N.U. traitant des affaires coloniales, le 10 septembre 1963. La résolution définitive du Comité demanda que la Grande-Bretagne et l'Espagne « nouent des conversations urgentes sur Gibraltar » (16 oct. 1964).
Pour accélérer les conversations, les Espagnols, persuadés que Gibraltar « démographiquement et économiquement ne peut vivre sans l'Espagne », entreprirent de rendre plus difficiles les rapports entre le Rocher et les territoires voisins. Un référendum décidé par Londres eut lieu le 10 septembre ; l'écrasante majorité de la population se prononça pour le « maintien volontaire des liens avec le Royaume-Uni ». L'Espagne riposta par une première fermeture (mai 1968) de la frontière terrestre entre le Rocher et les territoires espagnols, fermeture renforcée en 1969 par l'interdiction faite à ses ressortissants travaillant à Gibraltar d'y poursuivre leur activité. La mesure créa, dans l'opinion britannique, un climat d'union sacrée. Le secrétaire du Commonwealth prit, devant la Chambre des communes, l'engagement que « la Grande-Bretagne ne renoncerait en aucune circonstance à sa souveraineté sur Gibraltar contre le vœu des habitants du Rocher ». La décision britannique maintenait Gilbraltar dans le Commonwealth avec une autonomie de gestion largement accordée par la nouvelle Constitution de 1969, qui accentuait la démocratisation du régime interne. Madrid protesta, y voyant « un acte gratuitement inamical envers l'Espagne, un défi à l'O.N.U., un obstacle à l'avenir de Gibraltar » ainsi qu'une violation du traité d'Utrecht. Le 6 août 1973, l'Espagne fit plus étanche encore le blocus. La Grande-Bretagne réaffirma son attitude. Les élections à l'Assemblée de Gibraltar, le 28 septembre 1976, marquèrent le succès du parti anglais (dirigé par sir Joshua Hassan, ministre principal de la Colonie) sur les partisans du dialogue avec Madrid, dont aucun des candidats ne fut élu.
La démocratisation du régime espagnol amorce une détente. Après les pourparlers de Paris (mars 1978) et de Londres (juill. 1978), l'accord, finalement non appliqué, de Lisbonne (10 avr. 1980), les négociations de 1981 et 1982 amenèrent l'Espagne à relâcher progressivement le blocus de la place, partiellement en 1982 et totalement en 1984. L'attitude du gouvernement britannique n'en fut pas modifiée sur le fond.
Un seul accord technique a pu être conclu, le 2 décembre 1987, sur l'aéroport. Lié à la mise en œuvre de la décision de la Communauté européenne sur la liberté du trafic aérien, il permet « l'extension de son utilisation à des fins civiles » aux compagnies espagnoles et prévoit de dédoubler l'aérogare avec des installations établies en Espagne. Il comporte une clause de sauvegarde concernant l'isthme sur lequel est construit l'aéroport, qui laisse en suspens la légitimité de la souveraineté britannique sur une zone que l'Espagne a toujours considérée comme étant usurpée. L'accord ne règle donc en rien la question de fond du statut de Gibraltar. Les élections législatives[...]
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Écrit par
- Jean-Louis MIÈGE : professeur émérite d'histoire à l'université de Provence
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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