AMY GILBERT (1936- )
Abstraction et lyrisme
En Gilbert Amy cohabitent deux natures d'artiste : d'une part, le créateur rigoureux et lucide, héritier de Pierre Boulez, d'autre part, le grand explorateur de l'alchimie des timbres, avec une prédilection pour les registres graves. La première nature domine au début de sa carrière : « Je n'ai pas évité la radicalisation systématique de l'harmonie dodécaphonique dans mes premières œuvres : surabondance d'intervalles “tendus”, utilisation des registres extrêmes, inflexions mélodiques “dissonantes”, etc. » (Gilbert Amy en 1996). En témoignent des pièces comme les cinq mélodies atonales constituant Œil de fumée, pour soprano et piano, sur des poèmes de Louis Parrot (1956), Variations, pour flûte, clarinette, violoncelle et piano (1956) – de facture strictement sérielle, à l'instrumentation raffinée, avec des réminiscences de Messiaen –, Cantate brève, pour soprano, flûte, vibraphone et xylomarimba, sur quatre poèmes de Federico García Lorca (1957) – œuvre qui, avec ses relations complexes entre la voix et les instruments, reflète l'influence du Marteau sans maître de Boulez (1955) –, Mouvements, pour 17 instruments (1958), aux tempos extrêmement complexes.
Marquée par les leçons de Pierre Boulez, Épigrammes, pour piano (1961), est une pièce dont la forme est sans cesse remise en question. Puis, Gilbert Amy commence à se détourner du sérialisme strict avec Diaphonies, pour deux ensembles de douze instruments disposés symétriquement et un seul chef (1962), et, plus encore, avec Cahiers d'épigrammes, pour piano (1964). Il explore ensuite les raffinements du grand orchestre, travaillant plus précisément sur la spatialisation du son, abordée dans Diaphonies. Avec ses deux orchestres dirigés chacun par un chef et un concertino faisant office de médiateur, Antiphonies (1960-1963) reflète l'influence de Gruppen de Stockhausen, entendu lors de sa création, en 1958. Triade (1965) est composé pour un orchestre divisé en trois groupes (d'où le titre) comportant chacun un élément fixe de cordes (4 violons, 4 altos, 2 violoncelles et 2 contrebasses) ; sous-titré « D'après l'œuvre mescalinienne », Triade constitue la version symphonique d'un film d'Henri Michaux d'après des textes du poète, et sa structure suit celle du film ; le langage musical plutôt libre joue avec les contrastes de durée, les phénomènes « d'apparition et de disparition, de voilage et de dévoilage », faisant ainsi surgir musicalement des superpositions verticales, diagonales, des fondus, des glissements ou encore des phénomènes de masque.
Vient ensuite Strophe, pour soprano et un orchestre comportant un piano et de très nombreuses percussions (1965-1966). L'œuvre est composée à partir de cinq vers extraits de L'action de la justice est éteinte de René Char, recueil publié en 1931 et repris en juillet 1934 dans Le Marteau sans maître : hommage de Gilbert Amy à son maître Boulez. La voix intervient tout au long mais son traitement et ses rapports avec l'orchestre varient, ce qui confère toute son originalité à cette partition.
Si Amy sera toujours convaincu que l'acte de composer est nécessairement lié à la production du signifiant sonore, il n'aura de cesse de parvenir à une souplesse d'écriture où lyrisme et raffinement ne sont pas en contradiction avec la rigueur et l'abstraction qui en assurent la cohérence interne. Se penchant sur la problématique formelle, Amy introduira ainsi un certain degré de variabilité sans que celle-ci prenne pour autant le pas sur la directionnalité de l'œuvre. Commande de l'O.R.T.F., Trajectoires, pour violon et orchestre, créé en 1968 au festival de Royan sous la direction de Maderna, repense ainsi la fonction du soliste-concertiste. Cette pièce n'est en effet[...]
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Écrit par
- Alain FÉRON : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
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DOMAINE MUSICAL
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 2 258 mots
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