GADOFFRE GILBERT (1911-1995)
Né à Paris, docteur ès lettres de la Sorbonne et d'Oxford, Gilbert Gadoffre a fait toute sa carrière en Grande-Bretagne et aux États-Unis, si l'on excepte la période des années 1940, qui le vit prendre une part active à la guerre puis à la Résistance.
Une partie importante de ses travaux porte sur la Renaissance. Titulaire de 1966 à 1978 de la chaire de littérature française à l'université de Manchester, Gilbert Gadoffre a étudié Ronsard (Ronsard, 1960 ; Préface aux Quatre Saisons de Ronsard, 1985) et du Bellay (Du Bellay et le sacré, 1978), qu'il a voulu détacher de son image d'élégiaque un peu chagrin pour révéler en lui le polémiste féroce, l'homme d'une vive sensibilité religieuse, tout plein d'un « souffle » analogue à celui du vent sur la mer. Son dernier livre, posthume, est consacré à la Révolution culturelle dans la France des humanistes (1997).
Gilbert Gadoffre passait volontiers d'un siècle à l'autre, et il fut aussi un grand claudélien. Sa thèse, soutenue en Sorbonne sous l'autorité d'Etiemble, aborde une question difficile : Claudel et l'univers chinois (1968). Son complément indispensable est l'édition critique de Connaissance de l'Est (1973). Mais dès 1959 se trouvait mise en place l'idée centrale, celle de l'analogie, dont Gadoffre cherche les sources tant chez saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure que du côté de Mallarmé et de la Chine. Professeur d'histoire à ses débuts, il a su recréer sobrement cet Empire du Milieu des années 1895-1909, quand Claudel y a vécu, quand il y a aimé et quand il y a écrit quelques-uns de ses chefs-d'œuvre. Mais c'est aussi la Chine éternelle, celle du tao, qu'on voit se dessiner. Désireux de replacer Claudel dans l'« histoire culturelle » qui lui donne « sens et saveur », Gadoffre a retrouvé en lui la vibration essentielle, celle du texte poétique (Préface à l'Art poétique, 1984).
L'humanisme de Gilbert Gadoffre était bien vivant. Dès l'article « Les Élites de civilisation », publié dans la revue Esprit en juin 1945, il prônait un « humanisme nouveau », un « humanisme intégral [qui] suppose un travail de synthèse en équipe, capable de contrebalancer les poussées divergentes des disciplines scientifiques vers des champs de spécialisation toujours plus étroits ». L'idée devait aboutir au projet d'« université collégiale », qu'il rapprochait des Collèges de la Renaissance. Gilbert Gadoffre a consacré sa vie à sa réalisation. La première grande initiative fut la création du Centre culturel international de Royaumont. Ouvert en 1947, ce fut un lieu où véritablement renaquit la confiance en l'esprit. L'expérience se prolongea avec l'Institut collégial européen, à Loches, pendant de longues années, puis de nouveau à Royaumont. Si Gilbert Gadoffre n'occupa jamais de chaire au Collège de France, il y créa au cours des années 1970, avec André Lichnerowicz et François Perroux, un Séminaire interdisciplinaire qui, avec les Tables rondes de Versailles, fut le point d'aboutissement du projet d'un Institut de synthèse présenté dès 1943.
Gilbert Gadoffre aimait à rappeler qu'il était l'un des rares à enseigner l'histoire de la pensée, comme Jean Starobinski, qui fut invité à Royaumont à l'âge de vingt-six ans, quand il était encore étudiant en médecine, et qui a écrit qu'il n'a « jamais cessé d'être, au cours de [sa] vie, un étudiant de l'Institut collégial ». Après Ernst Robert Curtius, Gadoffre aura été l'un des grands défenseurs de l'idée de culture européenne. Défiant à l'égard des institutions politiques et de l'européocentrisme (ses travaux sur la Chine le prouvent), il a bien montré qu'un humanisme[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre BRUNEL : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques
Classification