GILETS JAUNES
Significations et mots d’ordre du mouvement
Le mouvement des gilets jaunes est né d’une contestation de la taxe « carbone » sur les carburants mais, d’une manière plus générale, il est l’expression d’un rejet de la politique économique du gouvernement, de la défiance à l’égard de la politique traditionnelle et des institutions, ainsi que d’un déclassement d’une partie de la population, située à distance des grandes métropoles et en voie de paupérisation. Avec le mouvement se cristallisent diverses formes de mécontentements, notamment sur la question du pouvoir d'achat, dont le révélateur est le prix du carburant. Les gilets jaunes manifestent à la fois leur aspiration à la politique et leur rejet de la politique institutionnelle et électorale. L’opposition entre le « haut » et le « bas » de la société est au cœur du mouvement, qui relève de ce point de vue d’une « situation populiste » (Luc Rouban). Deux enquêtes par questionnaires, menées sur Facebook par des chercheuses et chercheurs de Sciences Po Grenoble et par le collectif Quantité critique, ont permis de constater qu’une majorité des répondants refusait de se situer sur l’axe politique traditionnel gauche-droite. Ceux qui déclarent participer aux scrutins électoraux partagent en majorité leurs suffrages entre le Rassemblement national et La France insoumise. Enfin, selon une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) menée en décembre 2018, le soutien aux gilets jaunes dans la population française est fortement « clivé » sur le plan social : le mouvement est principalement soutenu par une alliance des catégories populaires et moyennes opposées aux classes supérieures.
Ainsi, le mouvement des gilets jaunes est porteur des intérêts de groupes sociaux qui ne se sentent plus représentés ou se considèrent comme rejetés par les autorités. La France « des petits moyens », pour reprendre l’expression de la sociologue Isabelle Coutant, constitue le cœur sociologique du mouvement – qui n’a pas pris dans les quartiers dits « sensibles » des grandes métropoles. Ces Français travaillent, paient des impôts, ont parfois deux voitures, lorsqu’ils sont en couple, pour pouvoir travailler... Souvent, ils gagnent trop pour être aidés et pas assez pour bien vivre. Une partie de ces ménages à faibles ou moyens revenus ont accédé à la propriété hors des métropoles, pour fuir le logement social. Ils se sentent maintenant floués par le retrait des services publics de leurs communes. Ils éprouvent un sentiment d’abandon, qui est à la fois géographique et social. Chez les hommes, on dénombre beaucoup d’artisans, de routiers ou d’ouvriers industriels, tandis que les femmes appartiennent majoritairement aux personnels des services aux particuliers (aides-soignantes, infirmières ou encore femmes de ménage). Le sociologue Yann Le Lann précise cette sociologie. Pour lui, le mouvement est essentiellement constitué de salariés qui ont un rapport fragile au collectif de travail : « Ceux qui se mobilisent sont des salariés qui n’ont pas les moyens de se mettre en grève » (Le Monde, le 24 décembre 2018). Le succès du mouvement est également dû à sa capacité à générer des formes de sociabilité et de solidarité, de plus en plus rares dans la vie quotidienne des Français. Les enquêtes ou les médias ont documenté la convivialité des ronds-points, la fraternité et l’entraide qui les animaient. En créant des points de socialisation, les gilets jaunes ont aussi révélé la solitude et le désœuvrement, notamment de femmes seules – très présentes dans le mouvement –, mais aussi l’aspiration à l’échange, aux coups de main, à la réciprocité. Ces échanges et ces relations sociales ont été le creuset d’un processus de politisation et d’apprentissage de la politique.
Le mouvement des gilets[...]
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Écrit par
- Rémi LEFEBVRE : professeur de science politique à l'université de Lille
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