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GILETS JAUNES

Un mouvement inédit

Selon l’historien Gérard Noiriel, les gilets jaunes participent d’un « nouvel âge de la démocratie » caractérisé par la « démocratie du public » (Le Monde, 27 novembre 2018). Le mouvement n’est pas le produit d’une tradition organisationnelle ou d’une culture politique préétablie, mais il éclate en fonction d’une conjoncture et d’une actualité ponctuelle, ex nihilo, et se structure de manière horizontale à partir des réseaux sociaux. Ce type de mouvement social « autoorganisé », se développant en dehors des canaux traditionnels de la contestation et de la représentation sociale, n’est pas un phénomène nouveau : pensons aux « coordinations » des années 1980 (en 1986 avec les cheminots, à l’automne 1988 avec les infirmières…). Cependant, ces coordinations étaient alors strictement circonscrites à un milieu professionnel salarié et ont été animées par des militants de la « gauche syndicale », issus en particulier de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et elles avaient désigné des interlocuteurs pour négocier avec le gouvernement. Le mouvement des gilets jaunes est beaucoup plus large et rassemble en outre une fraction importante de « primo-engagés » : selon l’enquête menée par les politistes de l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble, portant sur 300 groupes Facebook, 55 % des participants manifestaient pour la première fois.

Les gilets jaunes sont emblématiques de ces « pratiques politiques autonomes », mises en avant par le sociologue Albert Ogien, qui se développent depuis les années 2000 à l’écart des institutions traditionnelles de la démocratie représentative. Ces rassemblements fort divers, ces partis plateformes, ces nouveaux partis, tels le Tea Party aux États-Unis (né en 2009), le mouvement Cinq étoiles en Italie (né en 2009), les Indignés en Espagne (nés en 2011), le Momentum au Royaume-Uni (né en 2015)…, qui ne cherchent pas tous la conquête du pouvoir, instaurent des contre-pouvoirs démocratiques et sont facteurs de changement social. Pour Albert Ogien, « l’irruption de groupes d’activistes sans attache dans l’univers clos de la politique est un phénomène qui gagne en importance à mesure que ces pratiques se diffusent et s’internationalisent » (« Le spectre de la démocratie directe », Libération, 31 janvier 2019).

La mobilisation des gilets jaunes est « moléculaire », sans centre ni leader, et n’est encadrée ni par un parti ni par une organisation syndicale. Le mouvement réussit à imposer son vocabulaire, ses symboles et ses points de ralliement, du gilet jaune au rond-point. Son action privilégiée est l’occupation, celle des ronds-points – et non plus des places, adoptées auparavant par le mouvement des Indignés, les « printemps arabes » ou Nuit debout. Le rond-point, ce « non-lieu » de l’aménagement routier, est investi soudainement d’un sens politique. Les revendications et le cadre idéologique de l’action collective sont en mouvement et évoluent. L’action s’organise selon le principe de l’intermittence, se révèle ainsi moins coûteuse que la grève (on occupe les ronds-points en se relayant, on manifeste le samedi quand on peut…), et les acteurs alternent temps forts et temps faibles pour économiser leur énergie. Olivier Fillieule, sociologue, spécialiste de l’action collective, considère que le succès de la mobilisation est dû à « ce modus operandi qui permet de tenir en continuant à travailler » (Le Monde, le 26 janvier 2019).

Si le mouvement des gilets jaunes a fait l’économie d’une organisation au niveau national, il a su structurer son action, articulant habilement et autour d’une multitude de centres sa présence sur le territoire et dans le monde virtuel, l’occupation des ronds-points et l’utilisation des réseaux sociaux, les actions en province et les manifestations[...]

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Écrit par

  • : professeur de science politique à l'université de Lille

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Médias

Gilets jaunes manifestant sur les Champs-Élysées, 2018 - crédits : William Lounsbury/ Shutterstock.com

Gilets jaunes manifestant sur les Champs-Élysées, 2018

Rencontre entre des « gilets jaunes » et le ministre de la Transition écologique et solidaire - crédits : Jacques Demarthon/ AFP

Rencontre entre des « gilets jaunes » et le ministre de la Transition écologique et solidaire

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Cahiers de doléances des gilets jaunes

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