GILETS JAUNES
La répression du mouvement
Notamment parce qu’ils étaient souvent des « manifestations interdites », les rassemblements des gilets jaunes ont fait l’objet d’une répression policière et judiciaire particulièrement intense. En amont des manifestations de décembre 2019, les forces de l’ordre ont réalisé un nombre record d’interpellations dites « préventives ». Dans ce cadre, près de 1 500 personnes ont ainsi été arrêtées en France le 8 décembre. Les forces de l’ordre ont choisi une stratégie de déploiement en groupes de policiers très mobiles pour répondre aux spécificités de ce mouvement sans encadrement. Comme l’a analysé le sociologue de la police Fabien Jobard dans le journal Le Monde, les manifestations ont consisté en une « agrégation de petits groupes d’affinité, “montés” ensemble à Paris, Bordeaux, Toulouse ou ailleurs, pour rejoindre un lieu de défilé incertain, indécis, mouvant ». En novembre 2019, un an après le début du mouvement, le journal Le Monde recensait 10 000 gardes à vue, 3 100 condamnations, 400 peines de prison ferme. Les policiers ont tiré trois fois plus de projectiles de LBD et de grenades de désencerclement que l’année précédente, causant des milliers de blessés parmi les manifestants. Les interventions policières ont entraîné dans plusieurs manifestations des dommages considérables : mains arrachées par les grenades, défigurations ou énucléations par des tirs de balles de défense, un décès à Marseille. Selon Fabien Jobard, le bilan dépasse tout ce que l’on a pu connaître en métropole depuis Mai-68, où le niveau de violence et l’armement des manifestants étaient pourtant autrement plus élevés. Cette répression a entraîné des débats publics et des controverses sur le modèle français de « maintien de l’ordre ». On ne trouve pratiquement nulle part en Europe, et en tout cas pas en Allemagne ni au Royaume-Uni, d’équipements équivalents aux grenades explosives et aux lanceurs de balles de défense – à savoir des armes susceptibles de mutiler ou de provoquer des blessures de nature irréversible – dans la gestion policière des manifestations. La répression des gilets jaunes a montré que les manifestations sont de plus en plus souvent considérées par le pouvoir politique comme un problème d’ordre public que comme l’exercice d’une liberté fondamentale. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a réclamé à la France une « enquête approfondie » sur tous les cas d’« usage excessif » de la force, ce qui a suscité des protestations du gouvernement. En décembre 2020, devant la commission d’enquête parlementaire relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines du maintien de l’ordre, le Syndicat de la magistrature (SM) a présenté une série d’observations. Il déplore une « brutalisation » et une « plurijudiciarisation » du maintien de l’ordre qui « égratignent » sérieusement le droit de manifester. Cette violence de la part des forces de l’ordre et d’une partie des manifestants restera l’un des traits les plus saillants du mouvement des gilets jaunes.
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Écrit par
- Rémi LEFEBVRE : professeur de science politique à l'université de Lille
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