CARLE GILLES (1928-2009)
Gilles Carle est né en 1928 à Maniwaki (Québec). D'abord étudiant à l'école des Beaux-Arts de Montréal, il participe à la création de la maison d'édition de l'Hexagone. Alors que les fondateurs du cinéma québécois se cherchent du côté de Jean Rouch (avec Pour la suite du monde, Pierre Perrault, 1963), de John Cassavetes (À tout prendre, Claude Jutra, 1963) ou Jean-Luc Godard (Le Révolutionnaire, Jean-Pierre Lefebvre, 1965), Gilles Carle, qui vient d'entrer à l'O.N.F. (Office national du film canadien), décrit plus modestement, dans l'esprit de René Clair, La Vie heureuse de Léopold Z (1965), employé municipal de Montréal préposé au déneigement. En détournant la commande du documentaire pour réaliser un film scénarisé interprété par des comédiens professionnels, Carle choisissait sa voie, celle de la fiction classique qui fera de lui le chef de file du jeune cinéma québécois dès son second long-métrage, Le Viol d’une jeune fille douce. Cette première production privée (d’André et Pierre Lamy), indépendante de l’O.N.F. qui régissait jusqu’alors la totalité du cinéma canadien, saisit l'esprit de l'époque – 1968 –, ironie et désinvolture étant mises au service d'un regard aiguisé sur une société en pleine mutation.
Quand l'embellie québécoise a lieu, au tout début de la décennie 1970, Gilles Carle réalise les deux films qui vont représenter le triomphe commercial et critique du nouveau mouvement : Les Mâles (1970), à l'érotisme drôle et pittoresque, et La Vraie Nature de Bernadette (1972), qui mêle avec vigueur écologie, fantasme et révolte dans l'esprit d'après-1968 : refus de la civilisation, retour à la nature, liberté sexuelle et recherche individuelle du bonheur qui procurent un plaisir immédiat. Défini par le cinéaste lui-même comme « de constatation plutôt que de contestation », son cinéma enthousiasme désormais la gauche intellectuelle et cinéphile. Sélectionnés dans les plus grands festivals, ses films caracolent au sommet du box-office des circuits Art et Essai. Entre farces et brûlots, ces truculentes fables libertaires sont alors considérées comme l'expression de la « québécitude » du courant identitaire indépendantiste.
Pourtant, La Mort d'un bûcheron (1973), plus radical, surprend. Le cycle Carole Laure (six films de 1973 à 1983) resplendit de la présence de son interprète, la sculpturale compagne du cinéaste, qu'elle soit l'objet d'une vibrante déclaration d'amour fou de la part de son Pygmalion (Les Corps célestes, 1974) ou qu'elle se montre envoûtante et indécente (L'Ange et la femme, 1978), le fameux accent (un joual rocailleux) ajoutant encore au charme. Mais la légèreté convient mieux à Carle que le drame. Or ses pochades amorales brassant sexe, religion et critique sociale font paradoxalement place à l'imaginaire (La Tête de Normande St-Onge, 1975 ; Fantastica, 1980) au moment même où le Parti québécois accède au pouvoir politique.
La série télévisée Les Plouffe (1981), saga d'une famille du petit peuple de Québec de 1938 à 1945 constitue son dernier grand succès. Après Maria Chapdelaine (1983), sa carrière est moins médiatisée et ses œuvres (documentaires ou de fiction, téléfilms ou pièces de théâtre) ne traversent plus guère l'Atlantique. Si le militant contestataire n'aura été que peu de temps (autour de 1980) un auteur consacré, son rôle dans l'histoire du cinéma canadien demeure fondamental.
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
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