CLÉMENT GILLES (1943- )
De loin, ce qu'on voit de Gilles Clément ce sont des jardins : le parc du quai André-Citroën à Paris (1992), le jardin planétaire, le domaine du Rayol dans le Var (1989), le jardin du musée du quai Branly à Paris (2006), ou encore les jardins qu'il cite dans le livre Neuf Jardins (2008) qu'il préfère lui-même et auxquels il aime se référer. On perçoit aussi le mouvement : une sorte de vent souffle sur les prairies, les coquelicots déménagent, d'Afrique du Sud les Dierama pulcherrima, encore appelés Cannes à pêche des anges, se retrouvent dans la Creuse ; les herbes vivent leur vie dans les caniveaux et au-delà ; la nature triomphe et elle est mouvement. De loin encore, on sait quelques choses de lui : qu'il est un jardinier planétaire (contradiction dans les termes, comme il le fait remarquer lui-même), mais aussi un jardinier du quotidien et non pas un jardinier en l'air, bien qu'il s'occupe aussi des nuages (Les Carnets du paysage, no 17, 2008) ; s'il nidifie, c'est au sol, au niveau des insectes, ou même plus bas, dans les couches géologiques qui gisent sous nos pieds ou plutôt sous nos pas.
Car si la nature est source de mobilité et que les plantes voyagent, le jardinier est voyageur, comme elles. Nous devons renoncer à l'image bénigne du jardinier à tablier et sécateur, du jardin de curé bien gardé, rivé à ses plants de bégonias. Image que nous aimons pour la sagesse du retrait, l'aspect « vieux temps et jadis », toutes choses qui semblent combattre la frénésie actuelle. Ce jardinier-là n'existe qu'en rêve, ou sur les balcons garnis de géraniums. Mais pour le voyageur de jardins, les clôtures cèdent à l'espace du monde. Le jardin devient ainsi planétaire en prenant en compte la diversité des êtres et le rôle de l'homme en tant que gestionnaire. Le sous-titre de l'exposition présentée en 1999 à La Villette, Paris, « réconcilier l'homme et la nature » résume bien sa vision du Jardin planétaire.
Les frontières géopolitiques n'existent pas pour les espèces végétales et animales. Ce sont elles en revanche qui tracent les mouvantes et zigzagantes lignes de vie auxquelles le voyageur-jardinier accorde ses pas. Ainsi, à partir de 1984, développe-t-il le concept du Jardin en mouvement qui s'inspire de la friche. En s'attachant à la connaissance des espèces et de leurs comportements, le jardinier peut ainsi exploiter leurs capacités naturelles sans intervention excessive.
Vu d'un peu plus près, le jardinier n'est pas ce personnage mythique qui survole la planète en quête d'harmonie, il est agronome et pourrait aussi bien être ingénieur en chef des eaux et forêts, hydrologue ou ministre. Mais il préfère le jardin, qui n'est pas le paysage. Le paysage est affaire de contemplation, d'esthétique, quelquefois d'ornement, et sa perception nous est devenue si naturelle avec l'étagement de ses plans successifs et sa ligne d'horizon que nous en avons oublié son invention, pourtant datée et localisée. En tant que tel, il constitue une affaire achevée, digérée et prête à consommer. Il n'intéresse plus la recherche ni l'action. L'art du jardinier, lui, est d'une autre sorte. C'est un art version technê, un art du façonnement et de l'action réglée. Il relève d'une « attitude-concept » faite de l'observation minutieuse et émerveillée des relevés sur l'état de la population (la flore, les insectes) à tel endroit et à tel moment ; à quoi, par ailleurs, servent entomologie, météorologie et expérimentations : en somme, l'ancien almanach revisité sous forme de savants carnets : le jardinier-voyageur est un pédagogue charismatique, qui enseigne à l'École nationale supérieure du paysage à Versailles.
Ce terme jardin, qui renvoie aux plantes[...]
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Écrit par
- Anne CAUQUELIN : professeur émérite, université de Picardie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
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