DELEUZE GILLES (1925-1995)
Le philosophe français Gilles Deleuze est né à Paris le 18 janvier 1925 ; souffrant d'une insuffisance respiratoire chronique, il se donnera la mort le 4 novembre 1995 par défenestration. Il commence à publier à partir du début des années 1950. Son œuvre est faite d'essais portant sur des figures éminentes de la philosophie (Hume, Bergson, Nietzsche, Spinoza, Leibniz), ou de la littérature (Proust, Kafka, Melville, Beckett), mais aussi sur des concepts originaux développés à partir de la formulation rigoureuse de problèmes (la différence et la répétition, le sens et l'événement, le désir et le pouvoir, le pli et le baroque...). Elle comporte aussi de nombreux articles, où on voit le philosophe revenir sur son propre travail, intervenir sur des enjeux engageant l'exercice de la pensée, soutenir des films ou marquer l'importance d'un écrivain. Grand professeur, doué d'un sens hors pair de la pédagogie (il enseignera à Paris-VIII de 1969 à 1987), il laisse également des cours où sa parole ouvre les chemins qui donneront jour à ses livres. Face à ses étudiants, on l'entend construire ses principaux concepts (déterritorialisation et reterritorialisation, agencement, pli, événement, immanence...) ; on le suit, aussi, dans sa façon de traverser les deux autres domaines de la pensée que sont la science et l'art (Francis Bacon et le diagramme, le cinéma et une taxinomie des images). Marqué par la rencontre de figures intellectuelles telles que Jean Hyppolite, François Châtelet, Michel Foucault ou Pierre Klossowski, ce parcours intellectuel, qui fait de Deleuze un des philosophes majeurs du xxe siècle, se distingue aussi par le fait qu'il fut, à plusieurs reprises, tracé en compagnie de Félix Guattari.
Le désir
La publication de L'Anti-Œdipe (1972) marque une étape importante dans l'œuvre du philosophe. Dans cet ouvrage, co-écrit avec Félix Guattari, Gilles Deleuze propose une nouvelle conception du désir. Reprenant l'idée freudienne de libido, il pose que le désir est production. Cela a une double conséquence : on ne saurait le concevoir comme manque ; il est investissement immédiat de la réalité sociale.
La première conséquence peut surprendre, tant elle va à l'encontre du sens commun. En effet, d'une manière générale, désirer, c'est éprouver l'absence de quelque chose, et c'est mettre en œuvre les moyens de combler ce manque. Cette conception est développée de manière exemplaire dans le Banquet de Platon, où Éros est présenté comme le fils de Pénia (pénurie) et de Poros (expédient). En polémique ouverte avec la conception psychanalytique du désir qui le pense à partir de la castration, le rapport immédiat du désir au social permet de comprendre comment ce sont les formations sociales elles-mêmes qui font entrer le manque dans le désir. Afin d'étayer sa thèse, Deleuze introduit deux concepts : les machines désirantes et le corps sans organes : « Les machines désirantes sont la catégorie fondamentale de l'économie du désir, produisent par elles-mêmes un corps sans organes. » Les deux concepts sont indissociables. Ils sont co-impliqués, et leur conjonction seule permet de décrire la vie du désir. Il en résulte immédiatement que cette vie ne se laisse appréhender qu'à la condition de rester en deçà des entités constituées : organisme, personnes (avec leur identité) ou objets (avec leur unité). C'est à cette condition qu'une théorie de l'inconscient peut être renouvelée.
À cette fin, Deleuze montre comment les machines désirantes mettent en œuvre trois synthèses : une synthèse connective, une disjonctive et une conjonctive. La première synthèse consiste en un couplage entre deux éléments fragmentaires et hétérogènes (par exemple, un flux de lait et une bouche qui opère un prélèvement sur ce flux) ; la[...]
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Écrit par
- Bruno PARADIS : professeur agrégé de philosophie
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