DELEUZE GILLES (1925-1995)
L'immanence
Gilles Deleuze. n’a cessé d’insister sur l’importance, pour la philosophie, de la question : quid juris ? Dans son cours sur Leibniz (1980), il rappelle comment cette formule (qui signifie : qu’en est-il du droit ?) se distingue d’une interrogation relative au fait (quid facti ? ou, qu’en est-il du fait ?). Il souligne également son rôle chez Kant, et comment elle est inséparable d’une démarche transcendantale. Toutefois, comme cela apparaît en différents endroits de l’œuvre de Deleuze, la pertinence du questionnement transcendantal suppose que trois exigences soient remplies.
Tout d’abord, on évitera toute confusion entre les événements et les accidents, entre les concepts et les états de choses. Comme il le dit dans Qu’est-ce que la philosophie ? (1991), « l’image de la pensée implique une sévère répartition du fait et du droit : ce qui revient à la pensée comme telle doit être séparé des accidents qui renvoient aux cerveaux, ou aux opinions historiques ». Cette répartition suppose que les structures transcendantales ne soient pas décalquées sur les formes empiriques. Ensuite, la pensée sera portée à sa limite chaque fois qu’elle sera confrontée à un problème nouveau. Par exemple, y a-t-il une expérience de l’amnésie qui ne serait pas un simple accident du cerveau, mais qui renverrait à un immémorial ? y a-t-il un oubli qui forcerait la pensée à se remémorer ? Cette expérience reçoit le nom d’empirisme transcendantal. Enfin, avec le surgissement de l’Événement, on montrera comment la pensée est nécessairement confrontée au problème de la vitesse. « Le problème de la pensée c’est la vitesse infinie. » Si l’Événement est adéquat à l’Aiôn, c’est parce que la vitesse est l’horizon absolu du transcendantal.
Le dernier texte que Deleuze nous ait livré, « L'Immanence : une vie... », publié par la suite dans Deux Régimes de fou (2003), montre ainsi le lien qu'il faudrait établir entre l'immanence et un champ transcendantal impersonnel. Sur ce plan, il n'y a que des virtualités ou des singularités. Par elles et en elles, une vie passe : « Vie de pure immanence, neutre, au-delà du bien et du mal, puisque seul le sujet qui l'incarnait au milieu des choses la rendait bonne ou mauvaise. La vie de telle individualité s'efface au profit de la vie singulière immanente à un homme qui n'a plus de nom, bien qu'il ne se confonde avec aucun autre. Essence singulière, une vie... » Une vie tramée par le désir, emportée par les devenirs, affectée par une vitesse que seul le futur peut accorder. Une vie que Gilles Deleuze n'a cessé de chanter.
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Écrit par
- Bruno PARADIS : professeur agrégé de philosophie
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