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BRUNO GIORDANO (1548-1600)

De l'infinité cosmique à l'infinité divine

Cette refonte du concept d'univers déplace toutes les notions traditionnelles, en instaurant une nouvelle conception des rapports entre Dieu et l'Univers. Bruno risque ainsi de sombrer dans l'aporie de deux infinis qui menacent de se limiter mutuellement. Ce problème s'était déjà posé à Nicolas de Cues, qui non seulement avait introduit des distinctions nouvelles entre les différents ordres d'infinité, mais avait aussi affirmé clairement la transcendance du Dieu infini par rapport à sa création, qui n'est infinie que privativement, c'est-à-dire quantitativement (pluralité infiniment finie). Dieu est l'unité infiniment infinie (négativement pour notre intellect fini), c'est-à-dire qualitativement. À cela s'ajoute, pour Nicolas, qu'entre l'infinité négativement infinie de Dieu et l'univers privativement infini intervient la médiation du Christ. D'ailleurs, dans les textes postérieurs à la Docte Ignorance (1440), comme l'Apologie de la docte ignorance (1449), cette tendance transcendantiste se renforce et se confirme, puisque « Dieu est au-delà même de la coïncidence des opposés ». Rien de tel chez Bruno, qui reprend pourtant sur ce point certains termes du Cusain, mais en un tout autre sens. Dès ses premiers ouvrages en langue vulgaire, il n'a cessé de clamer l'infinité de l'Univers et l'infinie pluralité des mondes. On a souvent remarqué que ce thème de l'infini est en quelque sorte le thème central de toute sa philosophie. Toutefois, Bruno est également le théoricien de l'infinité divine. Est-ce à dire qu'il attribue l'infinité de manière équivoque à Dieu et à l'Univers ?

Tout d'abord, il prend garde de tomber dans les paradoxes traditionnels de l'infini, dont certains avaient été utilisés par Aristote pour renforcer son finitisme cosmologique. Bruno affirme que « son enseignement peut échapper à ces innombrables labyrinthes ». D'ailleurs, il précise que l'infinité cosmique contient en elle une infinité de parties, mais que celles-ci ne sont pas constitutives de ladite infinité, car « cela ne revient pas au même de parler de parties dans l'infini et de parties de l'infini ». En outre, il place la perfection du côté de l'infini et non pas du côté du fini, comme le voulait la tradition, du côté de ce qui est accompli, achevé, selon l'idéal de la finition artistique ou artisanale, où le produit atteint son télos et peut enfin se reposer dans son identité propre. Bruno, à l'inverse, associe le parfait à l'infini comme le montre, dans son De Monade, la table des oppositions fondamentales de l'être (inspirée de celle des pythagoriciens, mais modifiée sur ce point). C'est encore en ce sens qu'il précise que « l'infini est parfait [...] parce que dans l'Univers [que nous posons comme infini] se trouvent les mondes comme autant de parties et leurs membres concourent à former un tout parfait ».

La perfection divine, qui s'exprime directement dans son essence, c'est-à-dire dans son unité absolue, relève d'une certaine modalité de la présence de Dieu dans le Tout et dans les parties. La perfection de l'Univers est comme dispersée dans cet « immense simulacre corporel » qui représente la divinité. L'Univers, pourrait-on dire, participe à la perfection divine, qui se reflète en lui, mais d'une façon dérivée et infiniment dispersée. L'infini divin et l'infini cosmologique ne sont pas du même ordre, comme l'énonce cette formule qui revient dans la plupart des textes de Bruno : « Dieu est tout infini de façon compliquée et totale ; mais l'Univers est tout en tout d'une manière expliquée et non totale. »

L'Univers est envisagé ici[...]

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  • : agrégé de philosophie, maître de conférences en philosophie à l'Université de Paris-X-Nanterre

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