BASSANI GIORGIO (1916-2000)
Une ville : Ferrare, une époque : la fin des années trente, un milieu : la communauté israélite traquée par les lois raciales définissent d'emblée l'œuvre narrative de Giorgio Bassani. Le succès, mérité, d'un roman comme Le Jardin des Finzi-Contini ne doit pas faire oublier l'importance de ses autres livres, où déjà s'était affirmée une voix originale, nostalgique, sensible et raffinée.
Un écrivain juif de Ferrare
Tous les livres de Giorgio Bassani, romans et nouvelles, sont inspirés par la ville de Ferrare et situés dans ce cadre pour lui privilégié qui fut celui de son enfance. C'est pour cette raison que le gros volume qui rassemble l'édition définitive de ses proses est précisément intitulé Le Roman de Ferrare.
Bassani pourtant n'a jamais eu pour but d'exploiter les ressources plus ou moins pittoresques d'un particularisme provincial. Le problème, pour lui, se pose en d'autres termes. Il serait plus juste de parler d'une géographie sentimentale, dont les éléments interviennent sans cesse dans ses récits, de telle sorte que les rues, les palais, les remparts ferrarais, dominés par la sombre masse du château des ducs d'Este, au lieu de constituer les pièces éparses d'un décor, finissent par jouer le rôle d'un véritable vivier, d'où émergent et où disparaissent tour à tour les personnages de ses histoires. D'un texte à l'autre, le lecteur voit d'ailleurs reparaître bon nombre de ces personnages, ce qui contribue à accentuer cette impression de stabilité d'un cadre dont les figurants eux-mêmes deviennent des visages familiers.
Bassani, né le 4 mars 1916 à Bologne, a lui-même passé son enfance à Ferrare, et le choix constant de ce décor, qui est le lieu des souvenirs de ses premières années, traduit, d'emblée, une dimension autobiographique, confirmée dans un grand nombre de cas par la présence d'un narrateur dont les traits caractéristiques sont très proches des siens propres.
En outre, ces histoires sont presque toujours situées dans la période historique qui s'étend, en gros, de 1935 à l'immédiat après-guerre. Là encore, il ne s'agit pas d'un choix fortuit. Si ce moment correspond à la fin de l'adolescence de Bassani, il a coïncidé également avec celui où le gouvernement de Mussolini a promulgué les lois de discrimination raciale, opérant ainsi un soudain clivage dans la population italienne. Dans une ville telle que Ferrare, où vivait une importante minorité israélite, parfaitement assimilée, ces mesures que rien ne laissait prévoir – l'antisémitisme étant exceptionnel dans la tradition italienne – furent durement ressenties. La stupeur indignée des premiers temps fut peu à peu remplacée par une angoisse croissante, jusqu'à la terreur des années de la République de Salo. Si, dans l'après-guerre, une réaction d'oubli, peut-être hâtive, tenta de refouler des images désormais intolérables, certains, et Bassani le premier, surent rappeler le calvaire de la communauté juive à laquelle ils appartenaient.
Il serait cependant inexact et abusif de ne voir dans l'œuvre de Bassani qu'un témoignage réaliste ou un jugement politique, même si témoignage et jugement sont là, précis, irréfutables. En réalité, son propos est différent. Ces récits, en effet, forment une œuvre de fiction peuplée de personnages imaginaires, sans autre identité que celle que leur prête l'auteur, pour le temps d'un récit. En revanche, on ne peut manquer d'être frappé par la constance des thèmes, la mémoire, l'exclusion et la mort, qui parcourent cette œuvre dont les racines plongent très loin dans l'expérience proprement traumatisante qui fut celle de Bassani lui-même.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Mario FUSCO : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
- 20 médias
...uomo(1947) et de I sommersi e i salvati (1986), point d’orgue et aboutissement de la réflexion de Levi sur la Shoah. C’est également le cas de Giorgio Bassani (1916-2000), qui a réuni son œuvre romanesque dans Il romanzo di Ferrara (1972) et dont l’écriture est traversée par le thème de la... -
LE JARDIN DES FINZI-CONTINI, Giorgio Bassani - Fiche de lecture
- Écrit par Gilbert BOSETTI
- 811 mots
Giorgio Bassani (1916-2000), qui a réuni ses nouvelles sous le titre d'Histoires ferraraises et baptisé Le Roman de Ferrare l'édition définitive de ses romans, assure qu'il n'a jamais écrit qu'un seul livre : il est en effet le chroniqueur de la communauté juive de Ferrare et son œuvre est...