MANGANELLI GIORGIO (1922-1990)
Né à Milan, Manganelli a longtemps enseigné la littérature anglaise à Rome. Il participe au Groupe 63 qui, au début des années 1960, rompt avec la tradition néo-réaliste et tente, sous l'impulsion d'Edoardo Sanguineti et de Nanni Balestrini, de donner une vigueur nouvelle à la littérature italienne en privilégiant, à la lumière des œuvres de Joyce, Gadda ou Borges, l'effacement de la distinction entre prose et poésie, le mélange du trivial et du sublime. C'était d'une certaine manière renouer avec les dimensions majeures de l'esthétique renaissante et baroque. C'est d'ailleurs de ce « réservoir de merveilles » que naît Hilarotragoedia (1964), premier livre de l'auteur. Dans cette traversée des Enfers et cette méditation sur la nature « descendante » de l'homme se manifeste déjà la propension de Manganelli à déduire d'une image ou d'une analogie particulièrement troublantes un catalogue de chimères et de succubes, une architecture de cauchemars savamment imbriqués, tout en conduisant une rêverie angoissée sur les mystères et les replis du corps. Cet univers, qui va se propager d'œuvre en œuvre, ne procède pas d'une vision d'outre-monde, mais du langage seul : celui-ci n'est donc pas l'instrument de la fiction, il est la fiction même. Symétriquement, le « narrateur » manganellien n'est en rien un voyant, bien plutôt un scrupuleux mais toujours fautif scholiaste s'acharnant à commenter une réalité dont il ne parvient à saisir qu'une infime partie.
La passion de la classification, l'élaboration de systèmes aberrants, où l'ordre n'est que le masque évident du chaos, la formulation de lois qui peuvent être péremptoirement formulées avant d'être révoquées au terme de pointilleuses arguties, les somptueux élans lyriques ou oratoires chantant et invoquant un objet aussi démesuré qu'absent, la passion de l'allégorie et de l'emblème, l'extension virtuellement infinie de ces mondes en déséquilibre, tous nés de la puissance du faux : autant de traits qui caractérisent le prolixe et tortueux commentaire que fut l'œuvre de Manganelli et qui possède, dans ses plus hauts moments (Nuovo Commento, 1969 ; Agli dèi ulteriori, 1972 ; Discorso dell'ombra e dello stemma, 1982 ; Dall'inferno, 1985), la fascination d'une théologie négative imaginée par quelque « mauvais démiurge » ou tyran soupçonneux. La contrainte rhétorique étant alors le moyen de donner la plus forte densité à l'univers ainsi proposé. En témoigne Centuria (1979), prix Viareggio, livre composé, comme l'indique son sous-titre, d'une succession de « cent petits romans-fleuves » d'une page au maximum, qui proposent à chaque fois une situation aux confins de l'onirique et de l'absurde.
Traducteur de O'Henry et de Poe, collaborateur de plusieurs journaux dont le Corriere della sera, Manganelli a su faire preuve également d'un génie critique qui lui a permis d'attirer dans sa sphère mentale les œuvres les plus diverses. La Littérature comme mensonge (La Letteratura come menzogna, 1967, que prolongera Il Rumore sottile della prosa, 1994) réunit ainsi un certain nombre d'essais sur Dumas, Poe, Carroll, E. A. Abbott, tandis que Pinocchio : un livre parallèle (Pinocchio : un libro parallelo, 1977) apparaît comme une étonnante relecture-évocation de l'œuvre de Collodi. Ce fut là pour l'auteur une manière de souligner à quel point son peuple d'anges et de succubes se rattachait à la fable et au mythe.
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Écrit par
- Gilles QUINSAT : écrivain
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