MORANDI GIORGIO (1890-1964)
L' œuvre de Morandi, longtemps isolée au sein de la culture figurative italienne du xxe siècle, trouve aujourd'hui sa place grâce à l'analyse historique. Cependant, la valeur qu'on lui attache tient moins à la démarche rassurante de l'optique historiciste qu'au pouvoir presque obsessionnel des signes que crée l'artiste tout au long d'un parcours formel d'une rigueur exemplaire. L'émotion froide que les objets suscitent, depuis les compositions de l'année 1916 jusqu'aux dernières toiles, témoigne de l'unicité presque irritante de sa vision. En effet, son œuvre passe sans se compromettre à travers les expériences cubiste, futuriste et métaphysique. Vers 1920, elle atteint une stabilité que seul un isolement fécond, presque une ascèse, explique et épure. À partir de cette période, l'artiste reste seul face à un champ visuel réduit qu'il explore jusqu'à ses limites les plus extrêmes. La peinture de Morandi tend à contredire l'approche historique et à dénoncer ses insuffisances. Au-delà des signes qui cernent le réel et le contestent, il existe une volonté de remise en question des formes qu'aucune analyse traditionnelle ne peut éclairer. Ainsi, toute définition achoppe, car les structures cernées mettent en lumière l'insuffisance des approches critiques et accusent le problème du sens des formes que Morandi a proposées pendant un demi-siècle d'activité solitaire et secrète.
Les origines
Giorgio Morandi est né à Bologne ; c'est à l'Académie des beaux-arts de cette ville qu'il fait des études de 1907 à 1913. Lorsqu'il peint en 1911 le célèbre Paysage de la collection Vitali, où l'emprise de l'espace cézannien est manifeste, l'Italie connaît une tentative de révolution culturelle menée par les jeunes futuristes. Une vague de mots d'ordre et de condamnations sévères et catégoriques déferle sur la Péninsule repliée sur une culture provinciale, à l'abri des tentations « modernistes ». Morandi participe, en avril-mai 1914, à la première exposition Libera futurista organisée par la Galleria Sprovieri de Rome. Des lettres échangées avec Umberto Boccioni confirment le désir du peintre de partager cette expérience. Cependant, hormis cet événement, il n'adhérera jamais à l'idéologie futuriste, car, malgré quelques glissements, la structure profonde de son œuvre reste étrangère à cette démarche. Cette dernière, issue d'une profonde crise culturelle, s'opposait à un système de valeurs contraignantes et anachroniques : système politique sclérosé, peinture classicisante inadaptée au monde industriel. Alors que les futuristes restent prisonniers d'une série de contradictions quasi insolubles, Morandi crée en ces mêmes années un univers formel soumis à des règles différentes.
Si la critique a le plus souvent tenté de souligner les analogies pouvant exister entre une partie de l'œuvre de Morandi et le mouvement alors à l'avant-garde en Italie, de telles affinités ne paraissent pas déterminantes. On pourrait toutefois retenir une autre suggestion visant à mettre en lumière l'influence qu'a pu exercer Paul Cézanne sur Morandi. En découvrant les reproductions des tableaux du peintre d'Aix dans un petit livre de Vittorio Pica, Morandi prend conscience des limites imposées par les futuristes. C'est le début d'une approche qui le mènera progressivement à la découverte des véritables racines de l'art contemporain en dehors des querelles nationales. Déjà, dans les toiles réalisées entre 1911 et 1915, on peut déceler la portée de cette influence. Elle se manifeste essentiellement dans la conception de l'espace analogue à celle de Cézanne, espace matérialisé au moyen de glissements des plans et de renversements subtils de l'ordre combinatoire des éléments. Dans les[...]
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Écrit par
- Charles SALA : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
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