STREHLER GIORGIO (1921-1997)
De la mise en scène comme « essai critique »
Strehler s'est expliqué sur cette pratique qui consiste à revenir sur un travail précédent en déclarant : « Parce qu'insatisfait de mon travail, pour voir si je saurai faire mieux, parce qu'on m'a demandé de reprendre le spectacle et que je ne saurais en proposer qu'une copie, ou encore pour que les jeunes générations ne lisent pas seulement l'histoire du théâtre mais la voient. » Strehler définit son approche de la mise en scène comme un « essai critique » sur une pièce, réalisé avec des moyens scéniques. « Critique » implique, outre un éclairage nouveau sur un texte, de faire jouer un rapport entre une œuvre et le présent de sa représentation. C'est dans ce sens qu'il propose un travail sur Le Roi Lear de Shakespeare (1972) et une nouvelle approche de La Tempête (1978) qui, avec une relecture de La Cerisaie de Tchekhov (1974), constitue l'exemple le plus signifiant d'une écriture scénique investie dans une recherche de la clarté, de la simplicité, de l'harmonie. Ces spectacles sont aussi le point d'aboutissement d'une esthétique du dépouillement et d'un goût pour la scène presque vide, blanche, lumineuse, qui va dans le sens d'une transparence « spécifiquement théâtrale ».
C'est sans doute la conscience d'être parvenu au point extrême de sa pratique qui pousse Strehler, à la fin des années 1970, à surmonter sa méfiance face à l'avant-garde des années 1950 et son peu de goût pour le théâtre de l'incommunicabilité. Il va alors interroger certains textes comme Le Balcon de Genet (1976), dont il veut vérifier le fonctionnement dans la société contemporaine, alors que Genet n'est plus scandaleux, puis Acte sans paroles et Oh les beaux jours de Beckett (1981), dans lesquels il ne s'attarde pas, comme le remarque Odette Aslan, sur la désolation d'une fin du monde ou d'une vie, mais exalte au contraire les forces de l'homme qui, même sous la menace de l'Apocalypse ou de sa propre mort, lutte jusqu'au bout. Il affirmera d'ailleurs : « Même si je me sens angoissé, je suis contre un théâtre du désespoir. »
En 1983, il fonde et dirige à Paris, à la demande de Jack Lang, alors ministre de la Culture, le Théâtre de l'Europe (à l'Odéon). Il le définit comme « un lieu idéal de rencontre, de fraternité, de paix et de recherche, ouvert à tous les hommes de théâtre en Europe qui ont quelque chose à dire ». Il y attire les principales compagnies européennes, présente quelques-uns de ses spectacles réalisés au Piccolo : La Tempête de Shakespeare (1983), Minna von Barnheim de Lessing (1984), La Grande Magie d'Eduardo De Philippo (1985), Comme tu me veux de Pirandello (1988). Il y crée avec des comédiens français L'Illusionde Corneille, qu'il aborde pour la première fois (1984). À Milan, où le Piccolo Teatro s'intitule aussi Théâtre de l'Europe, il obtient enfin la construction d'un nouveau théâtre, qui devait initialement comporter trois salles mais qui, allait se réduire au seul Teatro Studio. Là, Strehler dirige une école européenne de comédiens. Dans cette salle, dont l'architecture renvoie à la fois au théâtre à l'italienne et à la scène moderne, il renoue lui-même avec le métier de comédien en interprétant le rôle du metteur en scène dans Elvire, ou la Passion théâtrale d'après Jouvet, qu'il monte en 1986 en hommage à celui qu'il reconnaît avec Brecht et Copeau comme l'un de ses maîtres. C'est également dans cette salle qu'il entreprend une mise en scène-recherche sur le Faust de Goethe présentée sous forme de fragments alternant des passages lus, des passages mis en espace et des passages mis en scène. Il y joue le rôle de Faust (de 1989 à 1992).[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Myriam TANANT : maître de conférences à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
FRIGERIO EZIO (1930-2022)
- Écrit par Jean CHOLLET
- 680 mots
Né le 16 juillet 1930 à Erba, commune de Lombardie située dans la province italienne de Côme, Ezio Frigerio suit une formation en architecture et en peinture à l’École polytechnique de Milan et à l’Académie des beaux-arts, avant de devenir assistant du décorateur de cinéma Mario Chiari et de débuter...
-
LA GRANDE MAGIE (E. de FILIPPO)
- Écrit par Jean CHOLLET
- 1 053 mots
Pièce en trois actes, La Grande Magie compte parmi les plus importantes de l'auteur napolitain Eduardo De Filippo, né le 24 mai 1900 et mort à Rome le 31 octobre 1984. Comédien et dramaturge parfois comparé à Molière, il a lui-même défini – lors d'un discours prononcé à l'Accademia dei Lincei...
-
GRASSI PAOLO (1919-1981)
- Écrit par Bernard DORT
- 804 mots
Né à Milan, le 30 octobre 1919, d'un père originaire des Pouilles, et d'une mère issue d'une famille bavaroise établie dans la région de Parme, Paolo Grassi aborde le théâtre par le biais de la critique dramatique, à l'âge de dix-sept ans, puis dirige et organise des spectacles, des tournées (la compagnie...
-
ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
- 20 médias
...populaire trouvant ses loisirs à la télévision et au cinéma), sans parler du choix des acteurs. Ainsi s'explique l'existence de « démiurges » tels que Giorgio Strehler et Paolo Grassi ou Luchino Visconti à Milan, Orazio Costa à Rome, pour ne citer que les plus célèbres... Il est vrai que tous ces metteurs... - Afficher les 11 références