VASARI GIORGIO (1511-1574)
Les « Vite »
La publication des Vite de' più eccellenti pittori, scultori e architetti, en un volume, aux éditions Torrigiani eut, semble-t-il, un effet de surprise. Vasari en a rapporté l'origine aux entretiens de 1545-1546 autour du cardinal Farnèse, avec Paul Jove et les humanistes romains. Mais il recueillait déjà depuis une quinzaine d'années des ricordi et scritti sur les artistes, qu'il put organiser en une ordinata notizia en 1547, avant la révision de 1548 et la remise à l'éditeur du libro en 1549. Vasari eut naturellement recours à des informateurs, comme Borghini dont il cita de longs extraits sur les Lombards du Moyen Âge, et à des réviseurs, comme le Romain A. Caro. La seconde édition, prévue dès 1562, fut en fait un remaniement complet de l'ouvrage qui parut aux éditions Giunti en trois volumes, avec un bois gravé en tête de chaque vita. En 1550, Vasari avait fait diligence pour réaliser un projet qui était dans l'air et devancé ses concurrents, florentin, comme l'anonyme Magliabecchiano, vénitien, comme M. A. Michiel, et romain : Paul Jove lui-même. L'ampleur de la conception, la sûreté de l'exposé étaient extraordinaires ; mais ce qui force aussi l'admiration, c'est le travail de correction, d'enrichissement et de critique accompli pour l'édition de 1568. Par l'originalité de la première présentation et par l'intelligence de la seconde, l'ouvrage de Vasari commande toujours largement notre connaissance de la Renaissance en Italie.
L'édition de 1550 : le primat toscan
Il s'agissait de réaliser à la fois une mise en valeur des artistes de l'Italie, en fonction d'une perspective historique fournie par la continuité toscane, et d'une démonstration de la dignité culturelle des arts plastiques et du bien-fondé de la maniera moderne. Le premier dessein entraînait une enquête sur les personnalités – célèbres ou non –, qui n'était qu'imparfaitement préparée par les auteurs de répertoires existant déjà. L'idée maîtresse de Vasari a été de combiner trois éléments de la littérature artistique naissante et de les multiplier en quelque sorte les uns par les autres : l'histoire des individus sur le modèle des « listes » d'hommes illustres ; le catalogue des œuvres, dont des recueils topographiques avaient esquissé le recensement, comme celui du chanoine Albertini pour Rome et Florence ; il y avait enfin une masse d'anecdotes, de bons mots, de traits légendaires, qui faisaient partie de la littérature toscane, avec des témoins aussi éclatants que Dante ou Boccace, ou, à une époque plus proche, Politien. Grâce à son talent de narrateur, Vasari a été capable de bâtir des récits continus où l'originalité des personnalités est restituée en une galerie de caractères et de types, et où l'énumération monotone des œuvres est animée soit par des descriptions (sur le type des ekphrasis antiques, soigneusement élaborés), soit par des historiettes piquantes ou cocasses. On a, naturellement, beaucoup épilogué sur la véracité de Vasari, en examinant ses sources et les documents. Il faut aussi tenir compte du cadre littéraire, qui commande l'organisation de chaque biographie, avec la mise en valeur des singularités individuelles, chère aux Italiens. Ce cadre est toujours significatif : la biographie de Giotto – partiellement élaborée à partir de la mention de l'artiste par Dante (Purgatoire, XI) –, celle du nonchalant Botticelli, celle du romantique Giorgione n'ont pas seulement compté par leur valeur informative, mais aussi par la force de leur mise en scène.
La première édition contenait près de cent cinquante biographies, groupées en trois grandes sections. La seconde édition en comptera cent quatre-vingt-dix-huit. Après une remarquable introduction sur les techniques,[...]
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Écrit par
- André CHASTEL : membre de l'Institut, professeur au Collège de France
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