CARDUCCI GIOSUÈ (1835-1907)
Carducci n'est pas au nombre des poètes dont l'œuvre se passe de références à des faits biographiques ou à des événements contemporains. Constamment sollicité par l'affaire du jour ou par l'incident personnel, plus enclin à l'affrontement qu'à l'estimation sereine, assez prompt à compenser la hâte de la réflexion par le fracas du langage, il rend assez bien l'image de l'« écho sonore », un écho résonnant au cœur du siècle qui vit s'édifier l'unité politique de l'Italie. Ce poète fut aussi, pendant près de cinquante années, un professeur. Maître actif et écouté, sa production critique et polémique ne le cède guère à sa production poétique. Peu d'écrivains ont été aussi continuellement aux prises avec l'œuvre de leurs devanciers. D'où l'érudition souvent allusive de nombre de ses pièces, ses expériences de métrique savante, la rencontre dans ses vers du mot violemment actuel et du vocable doctement exhumé.
Le professeur Carducci
Fils d'un petit médecin libéral et patriote, Carducci naquit dans le gros bourg de Pietrasanta, en Toscane du Nord-Ouest. Il fut mis à quatorze ans chez les « Scolopi » de Florence, éducateurs religieux en renom, avant de se présenter, sur le conseil d'un de ses maîtres qui avait apprécié ses tout premiers vers et le recommanda comme un jeune homme « chrétiennement et civilement bien élevé », au concours d'entrée de l'École normale supérieure. Il y fut reçu à l'âge de dix-huit ans, y noua des amitiés durables, et reçut, à sa sortie, en 1856, un poste au lycée de la petite ville toscane de San Miniato al Tedesco, où il se conduisit de façon peu édifiante, au jugement de ses supérieurs. Il ne revint pas l'année suivante à San Miniato, préférant gagner sa vie à Florence par des travaux d'édition. Dures années, attristées par le suicide de son frère Dante et la mort de son père. Il venait de se résoudre à accepter un poste de professeur au lycée de Pistoie, quand le ministre de l'Instruction publique du premier gouvernement de l'Italie unifiée lui offrit, en 1860, une chaire d'éloquence italienne à l'université de Bologne. Carducci accepta cette promotion inespérée, et ne quitta la chaire de Bologne qu'à sa retraite, en 1904.
Ce qui avait attiré l'attention du ministre Mamiani sur Carducci, c'était un recueil de vingt-huit poésies publié en 1857. Le normalien de Pise avait composé, deux ans plus tôt, pour se procurer un peu d'argent, une anthologie scolaire, La Harpe du peuple, choix de poésies religieuses, morales et patriotiques, qui va de Dante à de très récents couplets populaires de la campagne toscane. Il est aisé d'y reconnaître le postulat romantique de la poésie « spontanée », « émanation de l'âme du peuple ». Carducci ne fut pas longtemps fidèle à cette option littéraire. Dès 1856, il s'était, en effet, joint au groupe de la revue L'Appendice, qui combattait en faveur du classicisme au nom de l'italianité, et avait écrit plusieurs poèmes, inclus plus tard dans les Juvenilia, où il s'en prenait tout ensemble aux maîtres austro-hongrois de la Lombardo-Vénétie, au pape régnant à Rome sous la protection de la France, et à « la scélérate famille des buveurs d'eau romantiques ». Les vers du recueil de 1857 ne furent pas moins classiques – trop, au gré de certains –, mais ils plurent assez à Mamiani, dont les amis se trouvaient pourtant en majeure part du côté des romantiques.
Marié en 1859, Carducci eut, à Bologne, ses quatre enfants, dotés de prénoms littéraires (Béatrice, Laure, Dante) ou politique (Liberté, en abrégé « Titti »). Dès lors, sa vie se partagea entre sa famille, son enseignement, sa poésie et la politique. Menacé d'être déplacé d'office en 1868, en raison de[...]
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Écrit par
- Paul RENUCCI : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
Classification
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