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CARDUCCI GIOSUÈ (1835-1907)

L'ennemi du romantisme

Chez ce classique de parti pris, Rome continue à éclipser par son prestige l'Italie du Moyen Âge et même de la Renaissance. Carducci appartient à une époque où les âmes délibérément « laïques » associent à la notion de « médiéval » la primauté répressive de l'Église et l'obscurantisme. Il s'y ajoute de sa part une irritation particulière envers le romantisme catholique d'Italie dont les adeptes « colonisent » encore l'Université de la péninsule. Tout cela conflue dans le fameux hymne À Satan, où le positivisme scientiste apportant son renfort à l'anticléricalisme, le pas de l'antichristianisme est franchi.

Carducci mit plus de temps à se réconcilier avec la religion catholique qu'avec la monarchie piémontaise. Ce n'est qu'avec l'ode L'Église de Polenta, composée en juillet 1897, que sans renier sa conception d'un Moyen Âge barbare parce que chrétien, il semble pris d'émotion devant un monument de la foi commune de son pays. Mais il ne désarmera jamais devant le romantisme italien, où il verra de plus en plus une esthétique allogène, importée du monde des brouillards sur la terre lumineuse du classicisme.

La lutte contre les romantiques italiens et l'apologie du classicisme, étendue à plusieurs sortes d'écrivains italiens antérieurs au xixe siècle et finalement à tous les poètes étrangers qu'il aimait, ont inspiré, de façon souvent immédiate, une bonne part de sa production poétique. Près d'une trentaine de pièces sont écrites à la gloire de ses auteurs préférés, d'Homère à Victor Hugo (qui n'était pas un classique irrécusable) ; plusieurs autres sont dirigées, avec une vigueur qui frôle parfois l'indécence, contres ses censeurs, contre Un heinien d'Italie ou contre La Muse « dernier cri », taxée de romantisme, il va sans dire.

Or, au-delà de sa polémique, ce qu'il y a sans doute de plus rigoureusement classique chez Carducci, c'est d'avoir érigé l'art des vers en matière, et non seulement en manière, de poésie. Quand il imite un genre déterminé, il le dit bien haut. Il lui arrive de prendre pour sujet un facteur technique d'art poétique (À la rime, Au sonnet, Le Sonnet, Raisons métriques). Le poète n'est à ses yeux ni un « gueux » parasite, ni un « flâneur », ni un « jardinier », et pas davantage un être en proie au désordre de la « fureur sacrée », mais « un grand artisan qui s'est fait à la tâche des muscles d'acier ». Sous ses coups de marteau naissent, savamment travaillés, les glaives de la liberté, les boucliers de la force, les couronnes de la victoire, les diadèmes de la beauté. Là, Carducci s'écarte, plus ou moins consciemment, des conceptions classiques : grand lecteur de Victor Hugo, il ne pouvait ignorer que la « mission historique » du poète était un cheval de bataille du second romantisme. Le climat littéraire semble avoir été, pour une fois, plus fort que son vieux parti pris.

L'abondant prosateur qu'il fut reste important à plusieurs égards : par ses lettres (vingt et un volumes), sa production érudite et critique, qui embrasse une large part de la littérature italienne, de Dante aux écrivains de son temps, ses écrits polémiques, dont les plus riches de verve appartiennent aux recueils Esquisses et passes d'armes, Confessions et batailles, par ses souvenirs aussi, que parcourt une émotion moins bruyante ou moins forcée. Ce qui apparaît le plus nettement aujourd'hui, c'est l'extraversion fondamentale de Carducci, une attention au-dehors qui absorbe, année après année, tout ce que l'histoire, la petite comme la grande, apporte à la conscience d'un poète plus enclin à juger qu'à se juger, à parler en tribun qu'en confident, plus soucieux de la puissance harmonieuse de son art,[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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Giosuè Carducci - crédits : Walter Breveglieri/ Mondadori/ Getty Images

Giosuè Carducci

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