GIOTTO (1266 env.-1337)
Giotto et son public
Vasari raconte comment le pape Benoît XI, qui séjournait à Trévise (1303-1304), envoya un émissaire à Padoue, parce qu'il avait appris que Giotto s'y trouvait et qu'il désirait s'informer de cet homme qu'on disait si expert. L'anecdote n'ajoute pas grand-chose à la légende, si ce n'est qu'elle réintroduit l'un des principaux soutiens de la carrière giottesque, la papauté. Car c'est à la suite de son rayonnement, dans la seconde moitié du xiiie siècle et au cours des vingt premières années du xive, que nous situerons la gloire remportée par Giotto de son vivant. Les commandes prestigieuses qui lui furent passées proviennent toutes des composantes principales du parti guelfe, les Scrovegni et les « Chevaliers joyeux de la Vierge » à Padoue, les Bardi et les Peruzzi à Florence, les Angevins à Naples, ou de la papauté elle-même : le chantier d'Assise, les travaux à Saint-Pierre de Rome. Ce sont autant de relais et d'appuis qui ont facilité les déplacements de Giotto avec son atelier, et qui ont fait connaître son art dans une aire géographique à dominante guelfe. Quand il peint en territoire plutôt gibelin, à dominante impériale, comme dans la ville de Pise, Giotto travaille dans le milieu favorable à la papauté, c'est-à-dire parmi les ordres mendiants, ici les Franciscains. L'iconographie choisie de ses œuvres ainsi que les formes et les motifs employés renvoient très souvent au passé romain et au répertoire utilisé au long du xiiie, voire au xiie siècle, sur les grands chantiers de la ville : basiliques Saint-Clément, Sainte-Marie-Majeure, Sainte-Marie-du-Transtévère, pour les restaurations du milieu du xiie siècle, oratoire du Sancta Sanctorum dans l'église Saint-Jean-de-Latran. Les Christ que peint Giotto reprennent le modèle de l'icône archeiropite (non faite de la main de l'homme) conservée dans la crypte de Saint-Jean-de-Latran ; de même, les imitations de tentures au bas des fresques d'Assise, les victoires ailées, les couronnes de laurier, comme sur la Crèche de Greccio, transposent un répertoire tiré de l'antique sur des décors qui évoquent irrésistiblement ceux de la peinture romaine. Ses compositions, aussi, jouent des architectures pour dresser un fond par rapport auquel les personnages acquièrent volume et espace où se mouvoir. C'est le cas à Assise ; ça l'est encore à Padoue. En revanche, à Florence, dans la chapelle Peruzzi, quand il met en scène la Résurrection de Drusiana, Giotto essaie de libérer la représentation spatiale de la tyrannie de l'objet solide. Un mur traverse toute la composition et se continue vers la gauche ; il ne s'arrête ni sur la droite ni sur la gauche : Giotto renonce ainsi à suggérer par un mouvement des personnages, par la coupure de certains d'entre eux, ou la suppression d'une arête trop saillante dans une architecture, la prolongation de l'espace en dehors de la composition. Ici, la surface continue fuit doucement vers la gauche et conserve à la basilique, dont nous apercevons les dômes et les deux tours de garde, les qualités spatiales propres à une construction oblique. Par voie de conséquence, Giotto parvient à créer une foule composée d'individus, qu'il traite les uns par rapport aux autres et non plus en les agglomérant en un seul bloc. Même s'il doit encore beaucoup à sa formation classique, son style est parvenu à une profonde maturité personnelle.
Or, à chaque fois, Giotto semble vouloir peindre pour le public des lettrés « en vulgaire », selon l'expression de Dante qui, à peu près au même moment (le De vulgari eloquentia est écrit entre 1304 et 1306, à l'époque où Giotto peint dans la chapelle de l'Arena), cherche à s'adresser à ce nouveau public, et aux femmes tout particulièrement. Ce public du[...]
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Écrit par
- Daniel RUSSO : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, ancien membre de l'École française de Rome, professeur d'histoire de l'art médiéval à l'université de Bourgogne
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Médias
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