PAUL VI, GIOVANNI BATTISTA MONTINI (1897-1978) pape (1963-1978)
Crises, éclatements, conflits
Trente mois après la clôture de Vatican II, éclatait en France Mai-68, dont la plupart des pays ont connu des équivalents quasi contemporains. Cette date symbolique ne marque pas seulement la déstabilisation d'un idéal occidental de vie, mais elle a eu aussi une incidence religieuse profonde. Il est impossible d'en classer méthodiquement les effets : comme dans un torrent impétueux, le flot charrie indistinctement tout ce qu'il ramasse sur son passage. Prenons un cas apparemment simple, celui de l'évolution du culte, lequel, pour une nation laïque comme la France, constitue l'essentiel de la religion (la République française ne connaît ni prêtre ni pasteur mais seulement les ministres des différents cultes).
En 1963, les Pères du concile avaient voté une sage constitution sur la liturgie, alors que celle-ci était encore le domaine d'un hiératisme fixé depuis longtemps ; les novations y étaient rares : quelques fêtes nouvelles ; l'autel face au peuple, dont s'irritait Paul Claudel ; des ornements d'un style nouveau dit gothique, l'assouplissement de la loi du jeûne eucharistique, la messe du soir. L'obligation de la messe du dimanche demeurait souveraine. Or voici que, brusquement, se déclenche sur un rythme pressé la « réforme liturgique », favorisée par l'évolution des modes de vie. L'obligation de la messe dominicale tombe en désuétude ; le dimanche s'étale sur le week-end ; la langue vernaculaire remplace le latin ; Paul VI institue un nouveau rite qui remplace la traditionnelle messe de saint Pie V ; la communion est distribuée sous les deux espèces du pain (que le fidèle reçoit dans la main) et du vin (bu au calice même) ; le terme de messe est remplacé par l'expression de « célébration eucharistique » ; nombreux sont les prêtres qui prennent des libertés avec le nouveau rite ; les laïcs sont autorisés à distribuer la communion. La « révolution » s'étend à l'art et même au dogmatisme. De nombreuses églises sont « nettoyées » de leur décoration traditionnelle, parfois sans discernement et pour le plus grand profit des brocanteurs. La dévotion au saint sacrement s'effondre ; des doutes sont émis sur les doctrines de la « présence réelle » du Christ au tabernacle, de la « transsubstantiation » du pain et du vin lors de la consécration et même de la messe comme sacrifice... La messe n'est plus la messe : elle se « protestantise » et devient une cène.
Ces bouleversements, aussitôt dénoncés comme subversifs et anarchiques, passent pour une dénaturation du véritable esprit conciliaire et de ses décisions, avec l'accord tacite de Paul VI, sinon sa complicité. La résistance s'organise : ce sera le point de départ de « l'affaire Lefebvre » et de la multiplication de groupes dits traditionalistes ou intégristes. La guerre dans l'Église apparaît comme un effet de la crise profonde qui secoue celle-ci. Évoquant la « crise moderniste » du début du xxe siècle, Maritain, l'ami du pape, déclare qu'elle n'était que « rhume des foins » par rapport à la crise qui agite le catholicisme postconciliaire. Dès lors, on en vient à dire que l'Église se trouve atteinte de « néo-modernisme », au sein d'un monde dont les valeurs et les modèles semblent eux-mêmes en crise.
Le malaise ecclésial ne se limite pas, en effet, au domaine liturgique. Les vocations sacerdotales et religieuses diminuent brutalement. Non seulement un tel idéal, dans ses formes instituées, n'attire plus les jeunes, mais les prêtres eux-mêmes s'interrogent sur leur raison d'être et sur leur identité propre. Nombreux sont ceux qui renoncent à l'état ecclésiastique, avec ou sans l'agrément des autorités responsables. De nombreux séminaires et maisons religieuses sont fermés.[...]
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Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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