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POZZI GIOVANNI (1923-2002)

Comme celle de Mario Praz ou de Jurgis Baltrušaitis, l'œuvre de Giovanni Pozzi fait partie de ces rares entreprises intellectuelles qui, tout au long de leur élaboration, inventent leur propre objet – au sens que ce mot a pu revêtir de désenfouissement et de découverte, ici d'une parole oubliée. Le champ d'investigation était immense, tourné vers la poésie néo-latine aussi bien que vers l'oraison sacrée, partant d'Alexandrie et de Byzance pour se déployer au Moyen Âge, avant de trouver son apogée à l'âge baroque, juste au moment où l'espace de la lettre commençait à s'identifier à la figure individualisée de l'écrivain et à son expression, la littérature. L'œuvre critique de Giovanni Pozzi ne se veut en rien une pré-histoire de cette littérature-là, mais bien la mise en évidence de son autre absolu : une parole sans autre sujet que Dieu et donc proche de la mystique (Pozzi mènera à bien l'édition d'écrits d'Angela da Foligno et de Maria Maddalena de' Pazzi), une écriture qui serait simultanément image et épiphanie du divin. Pareille recherche ne pouvait s'appuyer que sur une érudition sans défaut, non pas antiquaire et crispée sur sa propre vulgate, mais inventive et dotée d'une curiosité sans réserve.

Giovanni Pozzi est né en 1923 à Locarno. Après des études de théologie, il entre dans l'ordre des capucins. À l'université de Fribourg en Suisse, il est à partir de 1947 l'élève de Gianfranco Contini, son maître en philologie, qui sera son directeur de thèse. Il suit également les cours de Giuseppe Billanovitch, dont les travaux sur le Moyen Âge et l'humanisme seront d'une particulière importance pour lui. À partir de 1960, il occupe la chaire de littérature italienne et de philologie romane à l'université de Fribourg.

Giovanni Pozzi va d'abord participer à l'entreprise éditoriale et philologique de Contini, visant à reconstituer et à permettre la lecture de pans entiers de la littérature italienne, en publiant des textes du Moyen Âge, ainsi que ses premières éditions d'œuvres de Gian Battista Marino. Mais la véritable inflexion a lieu en 1964 lorsqu'il donne, doublée d'un volume de commentaires, une édition du Songe de Poliphile, roman allégorique et œuvre phare de la Renaissance, qui entrelace au récit d'une quête amoureuse la reproduction de pseudo-hiéroglyphes et d'inscriptions grecques et latines. L'axe de recherche est alors tracé, et approfondi en 1976 avec l'édition d'un autre livre clé, l'Adone de Marino, tout à la fois poème mythologique et encyclopédie baroque.

Les grands essais de Giovanni Pozzi (La Rosa in mano al professore, 1974, La Parola dipinta, 1981, Poesia per gioco, 1984) accompagnent dans un commentaire d'une richesse inouïe ce travail philologique. Parallèlement aux pseudo-hiéroglyphes du Songe de Poliphile et à l'Adone, où le lyrisme s'organise en tableau, c'est tout naturellement que Giovanni Pozzi va révéler la puissance iconique du langage en inventoriant l'immense et secret corpus qui, sous la forme du calligramme, du palindrome, de l'anagramme, de la devise, du rébus et de l'acrostiche, entre autres, mit à profit les lois de la métrique pour s'ordonner autour d'un emblème – souvent de nature religieuse (la croix, le calice, les instruments de la Passion), mais aussi bien politique (le sceptre, l'épée), poétique (le luth, la rose), voire renvoyant à la dévotion privée (le cœur). Ces œuvres, le plus souvent rédigées en latin, se réduiraient à un jeu de l'esprit – et c'est ainsi qu'elles furent trop longtemps considérées –, si elles ne manifestaient une conception sacrée de la parole, promue au rang de métaphore absolue venant sanctionner la fusion mystique du visible et du lisible – de la chair et de l'esprit.[...]

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