GIRONDINS ET MONTAGNARDS
Il n'est pas facile de dégager nettement la ligne maîtresse d'un affrontement qui, sous la Révolution française, a duré plus de dix-huit mois et dont les enjeux se sont constamment déplacés. Gironde contre Montagne : pour la guerre extérieure contre la guerre intérieure, pour la saisie des ministères contre la chute de la royauté, pour le fédéralisme contre Paris, pour les possédants contre l'anarchie, pour la prédominance politique des élites bourgeoises contre les revendications égalitaires des sans-culottes, pour la paix de compromis contre la guerre à outrance, pour les mesures normales de gouvernement contre les mesures exceptionnelles de la Terreur. Alphonse Aulard a voulu situer un peu puérilement cette ligne maîtresse dans l'opposition entre Paris et la province. Albert Mathiez, réfutant Aulard sans peine, a prétendu trop schématiquement la ramener toute à une lutte de classes pour ou contre l'égalité sociale. Georges Lefebvre, qui l'a bien senti, aboutit sans doute à une vue trop impressionniste quand il suggère que Girondins et Montagnards s'opposèrent selon un « classement des tempéraments » : les « mous » et les « durs ». Et le profil socio-économique des deux groupes ne semble pas commander une différenciation politique aussi meurtrière. Mieux vaudrait peut-être chercher la cause profonde du duel dans l'antagonisme de deux conceptions inconciliables : celle d'une révolution statique et celle d'une révolution dynamique, d'un acquis à fixer contre un devenir à développer.
L'histoire
Quelques mots sur les termes, d'abord. L'usage d'appeler Montagne (dans un sens d'origine maçonnique, selon Ferdinand Brunot : allusion au mont Sinaï où Israël reçut ses lois) le rassemblement des patriotes les plus « prononcés » est attesté depuis le printemps de 1792. L'appellation antagoniste apparaît plus tardivement ; les contemporains parlent d'abord des « brissotins » au temps de la Législative, puis des « rolandins » au début de la Convention ; le nom de « Girondins » (venant du trio Vergniaud, Guadet et Gensonné, tous trois députés de la Gironde) apparaîtra concurremment, mais moins fréquemment, et ne sera tout à fait accrédité qu'au début du xixe siècle où il supplantera les deux premiers.
Le début de l'opposition se situe, au sein même des Jacobins, entre partisans de déclencher une guerre offensive (Brissot, faisant figure de leader de la grande majorité des députés jacobins de la Législative ; les habitués rolandins du salon de Manon Roland ; les habitués girondins du salon de Mme Dodun, amie de Vergniaud ; Condorcet, plus jaloux de son indépendance) et ceux qui y étaient opposés (Marat, Robespierre, Billaud-Varenne, Danton plus modérément). Les débats acharnés entre les deux groupes n'ont pas lieu à l'Assemblée mais au Club, d'octobre 1791 à janvier 1792 ; en février, il apparaît que la déclaration de guerre a partie gagnée aux Jacobins.
Une deuxième phase du conflit s'ouvre alors, dans la continuité directe de la première. Pour les brissotins, il s'agit de mener la guerre à ses fins (expansion économique, cours forcé de l'assignat hors de France, propagande et conquêtes révolutionnaires), donc d'occuper le pouvoir (ministère « jacobin » Roland-Dumouriez-Clavière-Servan) puis de le reconquérir un peu plus tard (journée du 20 juin, pourparlers secrets du trio girondin avec Louis XVI en juillet). Pour les Montagnards, il ne s'agit pas d'occuper des postes ministériels qui feront le jeu de la Cour, mais de protéger la nation, désormais en guerre, contre les dangers de trahison, de compromission et de césarisme : le combat décisif doit être mené à l'intérieur avant de pouvoir vaincre à l'extérieur. Brissot avait gagné la première manche ; l'inéluctable logique des événements[...]
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Écrit par
- Jean MASSIN : écrivain
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