DE SANTIS GIUSEPPE (1917-1997)
Giuseppe De Santis a passé les vingt-cinq dernières années de sa vie à essayer de revenir derrière une caméra. Solitaire, intransigeant devant l'injustice dont il se sentait frappé, ayant même pris ses distances à l'égard de Rome en allant habiter à une trentaine de kilomètres de la capitale, il était devenu un homme en suspens. À l'image de Drogo, le héros du Désert des Tartares, il attendait le cinéma comme quelque chose qui ne viendrait plus jamais. De fait, après des débuts éclatants, sa carrière a été un long combat pour faire prévaloir un cinéma fortement nourri par des convictions politiques révolutionnaires et qui se heurtait au conformisme de la production. D'une certaine manière, malgré un sens du spectacle qui pouvait en faire une valeur sûre au simple regard des lois du marché, il a été sacrifié : en recevant le lion d'or qui lui fut décerné à Venise en 1995 pour l'ensemble de sa carrière, il le dédia aux films qu'on ne lui avait jamais laissé tourner.
Giuseppe De Santis est né à Fondi. Après des études de droit, il entre par la grande porte dans la carrière cinématographique : il participe à l'écriture du scénario d'Ossessione et Visconti le prend comme assistant pour le tournage en 1942. À la Libération, il participe à l'aventure collective de Jours de gloire (1945), film de montage consacré à la Résistance italienne auquel collaborent Mario Serandrei, Marcello Pagliero et Luchino Visconti. Commence alors la grande aventure du néo-réalisme. De Santis en est un des protagonistes avec quatre films. Dans Chasse tragique (1947), il décrit la volonté des anciens partisans de mettre en valeur la terre qui leur est confiée, rêve utopique d'une société fondée sur le partage des richesses. Dans Riz amer (1949) et Pâques sanglantes (1950), il aborde les problèmes du prolétariat rural dans des histoires fortement romanesques qui élargissent le propos et lui fournissent un fort impact émotionnel. Dans Onze heures sonnaient (1952), il s'inspire d'un fait-divers authentique (l'effondrement d'un escalier d'immeuble sous le poids des candidates à un emploi) pour le transformer en radiographie d'une société malade. Dans tous ces films, De Santis dépasse le naturalisme ordinaire par son sens du mythe et de la stylisation gestuelle. Passant de l'individuel au collectif, il invente une sorte de réalisme épique.
Dans son film le plus célèbre, Riz amer, De Santis explore les possibilités d'une approche qui mêle les structures mélodramatiques à une esthétique qui emprunte aussi bien aux constructions rigoureuses des cinéastes soviétiques des années 1920 qu'aux distorsions expressionnistes. Silvana Mangano a les pieds dans la boue des rizières et la tête dans ses rêves de midinette : elle est la victime désignée d'un destin qui broie les êtres opprimés à la fois par leur situation de dépendance économique et d'esclavage culturel.
Au cours des années 1950, De Santis est entravé par la censure. Il oscille entre des œuvres mélodramatiques qui diluent la force originelle de son propos (La Fille sans homme, 1953 ; Hommes et loups, 1956) et des comédies qui ne correspondent pas à son tempérament : Jours d'amour (1954), interprété par Marcello Mastroianni et Marina Vlady, est une bluette sentimentale dans laquelle le cinéaste s'essaie à la satire de mœurs. Toujours confronté aux difficultés idéologiques, c'est en Yougoslavie qu'il réalise La Route longue d'une année (1958), histoire des paysans d'un village méridional qui parviennent à construire seuls la route qui les reliera à la ville voisine et qui les sortira de leur isolement ancestral.
Après La Garçonnière (1960), un film intimiste lié à une expérience personnelle, De Santis se lance dans un film à gros budget : l'évocation de l'engagement[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean A. GILI : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne
Classification
Autres références
-
BOSÈ LUCIA (1931-2020)
- Écrit par René MARX
- 623 mots
- 1 média
Issue d’une famille pauvre de fermiers de Lombardie, Lucia Bosè est née Lucia Borloni le 28 janvier 1931 à Milan. En 1946, Luchino Visconti, entrant dans la célèbre pâtisserie Galli de la via Victor Hugo à Milan, est frappé par la beauté extraordinaire d’une vendeuse anonyme. Comme celle d’Alain...
-
ITALIE - Le cinéma
- Écrit par Jean A. GILI
- 7 683 mots
- 4 médias
...néo-réalisme donne ses premières œuvres en 1945 avec Giorni di gloria (Jours de gloire), film documentaire coordonné par Mario Serandrei (1907-1966) et Giuseppe De Santis (1917-1997), auquel prennent part Luchino Visconti et Marcello Pagliero, et Roma città aperta (Rome ville ouverte) de Roberto Rossellini... -
MANGANO SILVANA (1930-1989)
- Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS
- 480 mots
À la fin des années 1940, le néo-réalisme se dissout doucement dans la comédie italienne et dans l'érotisme : les entreprises de production romaines, reconstituées après la débâcle du fascisme, recrutent des actrices pour leur physique, révélé dans les innombrables concours de beauté qui émoustillent...
-
NÉO-RÉALISME ITALIEN
- Écrit par Giuditta ISOTTI-ROSOWSKY
- 3 170 mots
- 4 médias
...Visconti a travaillé pendant six mois dans le village sicilien, il a recruté sur place ses interprètes qui, à partir d'un canevas, ont improvisé son texte. Giuseppe de Santis a mené une véritable enquête sur le fait divers qu'il présente dans Onze heures sonnaient (1947) : à côté des acteurs principaux,...