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PARINI GIUSEPPE (1729-1799)

Entre l'Arcadie et les Lumières

Patriote et homme de bien, Parini n'a rien d'un révolutionnaire ni même d'un novateur. C'est un provincial, produit régional exemplaire d'une Italie politiquement et linguistiquement divisée, dont l'élite était loin d'avoir atteint la maturité de la bourgeoisie française. Ce cadre étroit, certains de ses contemporains surent le dépasser ou le briser, soit en recourant aux dialectes, soit en forçant et inventant la langue italienne, soit encore en faisant – comme Goldoni – les deux tour à tour.

Ce porte-drapeau de l'Italie nouvelle est, en fait, essentiellement un modéré. En vain chercherait-on chez lui les spéculations et pensées audacieuses d'un Voltaire, d'un Rousseau, de ces encyclopédistes dont il se défiait (à travers le jeune aristocrate de Il Giorno, accusé d'athéisme, de libertinage, d'esprit mondain, il vise les philosophes) ; dans sa condamnation des abus, rien de cette colère qu'on sent gronder dans la bouche des valets de Beaumarchais. À Milan même existaient, groupés autour du Caffè, des hommes comme Pietro Verri qui appelaient à des bouleversements radicaux, à une remise en question de toutes les valeurs dans le domaine social non moins que culturel et linguistique. Les sympathies de Parini ne vont pas à ces subversifs, mais bien aux réformistes de l'Académie des Trasformati.

Cette modération marque fortement son style. Si Parini accueille dans son œuvre presque tous les thèmes des Lumières, s'il s'intéresse non seulement aux menus aspects de la vie quotidienne – l'amabil' rito –, objets d'un rituel minutieux et frivole ou témoins d'une existence simple, voire humble, notant en des tableautins intimistes les impressions infiniment nuancées – reflets, gestes, odeurs – que la sensibilité moderne découvre, mais aussi à la réalité plus crue – misère des pauvres, malédiction du travail manuel qui engraisse les oisifs, scandale de la répartition des richesses –, s'il chante les conquêtes de la science et les découvertes du jour (La Vaccine, Innesto del vaiuolo), ou célèbre les bienfaits et les beautés du plein air (La Salubrità dell'aria, 1759), dénonçant déjà la pollution, néanmoins il garde toujours « le pied gauche en Arcadie ». En d'autres termes, sur des pensers nouveaux, il fait des vers trop anciens.

Le foisonnement des superlatifs cernant un objet, isolant une scène à la manière des miniaturistes, traduit certes parfois une vision inédite. Mais les modèles du poète restent les classiques de la Renaissance et les Anciens, grecs et particulièrement latins, Horace pour la satire de la société, Virgile pour les évocations champêtres ; il n'est jusqu'à la scansion latine qu'il n'ait cherché à reproduire par le truchement de ses inversions tant vantées. Les épithètes nobles, savantes, latines ou latinisantes – formose braccia » (beaux bras), « manica angusta » (manche étroite), « leggiadra veste » (gracieuse toilette) – ont pour fonction d'atténuer ou de rehausser ce que la réalité a de trop mondain, de trop rude, de trop terre à terre ou de trop actuel. Ils ont encore une autre fin, contradictoire seulement en apparence : une fin satirique. Dans Il Giorno, où Parini décrit vingt-quatre heures de la vie d'un jeune seigneur, épithètes, périphrases, récits ou allusions mythologiques soulignent et tournent en dérision la frivolité de la bonne société, la vanité de ses passe-temps. En réalité, on en arriverait presque à envier le jeune oisif ! C'est que Parini lui-même est tiraillé et les adjectifs pompeux ou raffinés, les tours élégants qui reviennent d'une manière quasi mécanique sont un tic où se trahit la mauvaise conscience. L'ironie est un écran fragile – lassant pour le lecteur – contre la tentation, l'attrait qu'exercent sur[...]

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Écrit par

  • : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice

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