UNGARETTI GIUSEPPE (1888-1970)
Le plus grand poète moderne de l'Italie avec Montale et Quasimodo, mais surtout le plus lu, le plus commenté, le plus traduit, le plus universellement reconnu, tel est Ungaretti. Alexandrin cosmopolite, de formation française, cet éternel exilé est enraciné dans la terre de ses ancêtres toscans et lié à sa tradition nationale ; hermétique, il a pourtant tendu aux écrivains et aux hommes des civilisations les plus excentriques un miroir clair-obscur où ils ont cru reconnaître leur reflet. Homme de lecture et de méditation, mais aussi homme des cafés, de la conversation et des voyages ; homme de souffrance – uomo di pena –, comme il s'est défini lui-même, mais aussi de sensualité et de joie, d'où le titre ambigu d'un premier recueil, Allegria dei naufragi (Joie des naufrages). Prosateur superbe, poète, journaliste, professeur de littérature italienne à Rome et au Brésil, Ungaretti garda jusqu'à la fin sa figure complexe et insaisissable de jeune vieillard.
Cosmopolite et exilé
Peu de poètes ont été autant qu'Ungaretti marqués par les ambiguïtés de ses appartenances. Fils d'émigrés toscans, originaires de Lucques, Giuseppe naît en 1888 à Alexandrie d'Égypte, fantôme d'une ville vibrant encore de tous les mythes légués à l'Occident. Il restera toujours conscient de cette dualité et déchiré par elle : éblouissement et frayeur du désert, fascination des mirages, quête de l'oasis, mais aussi nostalgie de la terre italienne et plus précisément toscane (dont sa mère lui transmet le parler dans ses nuances les plus savoureuses) qui finissent par se confondre en un même rêve semi-fabuleux de Terre promise (Terra promessa, 1950), titre d'un de ses recueils poétiques. Il n'a jamais cessé, d'une certaine manière, d'être un exilé et un nomade, comme son ami arabe Mohammed Chéhab, frère aimé et qui semble être un double de lui-même auquel il dédie cet émouvant poème :
Descendant d'émirs de nomades il se suicida parce qu'il n'avait plus de patrie il aima la France [...] mais il n'était point Français et il ne savait plus vivre sous la tente des siens.
Même lorsqu'il retrouve en 1916, simple soldat dans les tranchées du Carso, en une fraternité cimentée par la boue, le sang et la peur commune de la mort, la patrie de ses ancêtres, l'Isonzo est inextricablement mêlé en son cœur à ses autres fleuves d'élection : le Serchio qui coule à Lucques, le Nil et... la Seine. Car sa culture est double. Dans cette Babel de langues et de mœurs qu'est devenue la moderne Alexandrie, la France demeure le grand pôle d'attraction – tous ses maîtres sont français – et, avant l'Italie, c'est vers Paris, où l'a précédé, en 1905, un autre illustre Italien d'Alexandrie, le père du futurisme, Marinetti, que le jeune Ungaretti, âgé de vingt-quatre ans, dirigera ses pas. Ce premier séjour ne dure que deux ans, mais, d'emblée, il fréquente les milieux intellectuels et artistiques d'avant-garde les plus bouillonnants : Apollinaire, Paul Fort, Picasso, Braque... Il suit les cours de Bergson au Collège de France. Les horreurs de la guerre surmontées – cette guerre qui lui a permis de trouver sa langue définitive et qui enfanta ce chef-d'œuvre qu'est Allegria (1931) –, la joie d'y survivre, les illusions de la période ultérieure ont peut-être effacé au cœur du poète le sentiment d'être un déraciné. Pas pour longtemps. Un recueil comme Sentiment du temps(Sentimento del tempo, 1936), dans lequel le malaise de vivre et la hantise de la mort se traduisent en évocations mythiques, en recherches d'une vraie patrie enfouie dans la nuit des temps et d'une innocence première, montre que la blessure[...]
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
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ITALIE - Langue et littérature
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