UNGARETTI GIUSEPPE (1888-1970)
Poésie « d'occasions », poésie mythique
Aucun poème, aucun recueil ponctuant le parcours qui ne soit le reflet d'une expérience personnelle. Ce qui est vrai de tout poète l'est spécialement d'Ungaretti, le moins abstrait d'entre eux, avec son goût frémissant des choses, avec les remous et les ondes qu'impriment en lui les sensations ou les émotions les plus fugitives. Sa poésie est entièrement et profondément biographique. Poésie « d'occasions », comme l'appelle si justement Paulhan. Point de poésie aussi où l'empreinte de l'événement ne soit plus soigneusement effacée. Confession ininterrompue mais domptée. Ce poète de la profusion, ce poète baroque a renoncé à ses richesses pour n'en garder que les valeurs extrêmes. Lui-même s'en explique en des termes voisins de ceux que Reverdy applique à la poésie qui rapproche les objets les plus séparés ou les plus éloignés. Ainsi, tout ce qui est anecdotique, accessoire, ornemental, intermédiaire et fluide est « sauté ». Coupée des motifs extérieurs qui la nourrissent, sa poésie devient pure intériorité. La tension ou l'attention du poète ne laisse subsister que l'essentiel ; des mots de plus en plus purs, au sens mallarméen du terme, entourés de plages de silence. Sa poésie est hermétique, non ésotérique, réservée à des initiés, compliquée à dessein et secrète à force d'être elliptique, réduite à une simplicité difficile. Le verbe renvoie alors du présent qui le suscite – écho assourdi d'une innocence perdue – à un passé d'avant la naissance, à l'humus primitif s'élevant ainsi au rang du mythe. « Je m'illumine d'immensité », écrit Ungaretti dans des vers où la clarté ruisselante du premier jour vient frapper l'homme dans un désert infini.
C'est cette plongée dans l'abîme des temps, dans ce silence ou dans ce vide peuplé de rien séparant deux choses, qui fait l'unité étonnante d'une œuvre étalée sur plus d'un demi-siècle. Certes, plus proche des futuristes dont il évite cependant toujours les déclarations fracassantes, et les fantaisies humoristiques, le premier Ungaretti offre un rythme brisé, des notes stridentes. Ailleurs, le chant se fait plus ample, plus ou moins obscur ou métaphysique, mais l'œuvre conserve son unité.
Constructeur de mythes, on l'a rapproché de Hölderlin ou du Rimbaud de « Elle est retrouvée, / Quoi l'éternité [...] », de Mallarmé qu'il a aimé et pratiqué par-dessus tout autre poète, et abusivement des grands Chinois Li Bo et Du Fu, des auteurs de haiku japonais dont il aurait la sobriété ; on ne saurait oublier qu'ayant choisi l'italien il a joué sur la langue de son terroir, repoussant aussi bien l'esthétisme souvent creux d'un D'Annunzio que le prosaïsme affété d'un Gozzano et, en bloc, la poésie du xixe siècle pour renouer avec la grande tradition lyrique italienne, Dante par instants – pourquoi pas ? –, Pétrarque, Foscolo aussi et surtout Leopardi.
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
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