VERDI GIUSEPPE (1813-1901)
« Du bref et du sublime... »
Contrairement à Wagner, auquel on le compare souvent, Verdi n'est nullement un théoricien, et c'est dans sa correspondance que l'on peut glaner ça et là ses idées sur l'opéra : classique par l'importance qu'il accorde au « métier », romantique par la primauté absolue donnée au cœur et par l'intolérance vis-à-vis de toute entrave opposée au créateur, Verdi se fait une idée assez peu mystique et plutôt artisanale de son art. L'inspiration et le savoir-faire sont sa seule loi, la faveur ou la défaveur du public sa seule sanction.
Dans ses écrits, on relève d'abord une fidélité à la tradition musicale italienne, selon lui essentiellement vocale, dépourvue cependant de tout dogmatisme. Verdi ne se plie aux formes habituelles (air, récitatif, cavatine...) qu'autant que celles-ci servent son intention dramatique ; en fait, son souci dominant, c'est que tout dans l'opéra serve une logique dramatique axée sur un thème fort, comme celui de la malédiction dans Rigoletto. Mais cette unité dramatique, il la conçoit moins, à la manière wagnérienne, comme un état de tension relativement statique montant lentement vers l'apothéose tragique, que comme une succession rapide ou même brutale de situations fortes qu'il appelle « positions » et qui se caractérisent par le heurt violent de caractères contrastés : « beaucoup de feu, énormément d'action et de la brièveté » écrivait-il à un correspondant ; un exemple de « position » cher à Verdi, c'est la situation qui sert de base dramatique au quatuor de Rigoletto. Cette dramaturgie du conflit imprime aux opéras de Verdi un rythme véloce ; certains débuts sont foudroyants : en quelques scènes le drame est posé, les personnages présentés et plongés au cœur de l'action ; les dénouements sont encore plus rapides : à peine Ernani a-t-il le temps de rendre le dernier soupir que le rideau tombe précipitamment. Ce que Verdi attend d'une telle fougue est l'effetto, le choc, une succession de chocs jusqu'à la catharsis finale. D'où son intolérance pour ce qui coupe le rythme dramatique et, par exemple, pour l'opéra français et sa tradition d'intermèdes spectaculaires.
À vrai dire, à partir des années 1850-1855, sa conception s'assouplit, le cadre de l'intrigue auparavant limité aux protagonistes s'élargit, ce qui nous vaut des scènes grandioses et parfois un peu lourdes, comme le triomphe de Radamès dans Aïda. Mais dans les meilleurs moments, suivant l'exemple de Shakespeare qui fut un de ses modèles les plus constants, cette ouverture d'horizons crée une multiplicité de registres qui servent de contrepoint à l'intrigue principale ; une des plus belles réussites à cet égard est la scène de l'auberge dans La Forza del destino : le lyrisme sourd de Leonora et le ton vengeur de Don Carlo – les protagonistes – se mêlent à la voix goguenarde et étrange de la bohémienne Preziosilla, aux accents liturgiques des pèlerins et au chœur jovial de l'aubergiste et des consommateurs. On pressent Falstaff, où le drame sombre dans la farce et où, comme il est dit dans la fugue qui clôt l'opéra, tout le monde est dupe.
On s'étonne fréquemment qu'une même main ait écrit Nabucco, Rigoletto et Otello, des ouvrages d'inspiration et de facture si différentes. La critique a souvent résolument opté pour Otello, ne voyant dans les opéras précédents qu'une sorte de préparation du chef-d'œuvre final, par laquelle Verdi se libérait du genre de l'opéra traditionnel pour aborder le drame moderne. En fait, Rigoletto ou Otello possèdent chacun dans son genre une manière de perfection, mais relèvent d'une optique toute différente.
Les premiers opéras jusqu'à la trilogie et même jusqu'à[...]
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Écrit par
- Gilles de VAN : professeur émérite à l'université de Paris-III
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