GOULD GLENN (1932-1982)
La recherche d'une palette sonore
Le répertoire de Glenn Gould sortait des sentiers battus : les Variations chromatiques de Bizet, les Sonatines de Sibélius, les sonates d'Hindemith ou de Krenek. En dehors de Bach, dont il a révolutionné l'interprétation, de Beethoven et de Schönberg, les grands noms de la musique l'intéressaient peu. Mozart était mort trop tard à son gré et Stravinski faisait preuve de pauvreté rythmique. Il exécrait les romantiques, ne jouait jamais Chopin et très rarement Schumann et Liszt. Par contre, Orlando Gibbons était pour lui le génie absolu et William Byrd lui disputait ce privilège ; pour ces deux musiciens, tout comme pour J.-S. Bach, la couleur instrumentale comptait peu et s'effaçait derrière le sens de la construction. Paradoxalement, Gould n'avait pas la passion de son instrument. « J'essaie, écrit-il, d'oublier que je joue du piano. Lorsque je veux faire ressortir un thème structurel qui est bien ancré dans mon esprit, je fais tout pour que rien de spécifiquement pianistique ne vienne s'y insérer. » Il affirmait même : « Mon idéal sonore pour un piano est qu'il sonne un petit peu comme une sorte de clavecin émasculé. » À cette fin, il jouait sur un vieux Steinway dont la mécanique était trafiquée, puis sur un Yamaha qu'il comparait à une machine électronique.
Parvenir à abolir la médiation de l'instrument, faire en sorte que le pianiste puisse transmettre de façon quasi abstraite, dématérialisée, sa conception d'une œuvre à l'auditeur, tel était le rêve de Gould, pour qui une partition musicale est d'abord une structure qu'il appartient à l'interprète de restituer comme telle. Ainsi que l'écrit Bruno Monsaingeon : « Pour Glenn Gould, il existe une multiplicité de visions possibles et également sublimes de la même œuvre. On ne peut donc juger ni d'une époque donnée – qui aboutirait à un conformisme total – mais d'après sa seule cohérence interne. La distinction entre création et interprétation tend à disparaître. » Cette conception exigeante et apparemment austère a été curieusement la clé du succès « populaire » de Gould : un nombreux public qui n'était pas spécialement mélomane s'est trouvé séduit par sa démarche et sa totale liberté vis-à-vis des conventions. Les quelque quatre-vingt, disques qu'il a gravés se sont vendus à plus d'un million et demi d'exemplaires.
Glenn Gould ne fut pas que pianiste. Il s'est voulu aussi compositeur : il est notamment l'auteur d'un quatuor à cordes, de la musique d'un film consacré à la destruction de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale, Slaughterhouse Five (Abattoir 5), partition réalisée sur des thèmes de J.-S. Bach, ainsi que d'une œuvre largement diffusée par le disque, pièce célèbre pour chœur et piano : So you Want to Write a Fugue, 1964 (« Ainsi, vous voulez écrire une fugue »). Il s'est essayé à la direction d'orchestre et a enregistré Siegfried Idyll de Richard Wagner. Collaborant à de nombreuses revues (High Fidelity, Saturday Review), il a beaucoup réfléchi et écrit sur la musique, alternant les articles savants et les textes de vulgarisation. Il s'est aussi largement consacré à la radio, qui était un de ses médias préférés. Il y inventa un genre nouveau, le documentaire radio polyphonique, où il mixait et entrelaçait les voix de personnes qu'il interviewait jusque dans le Grand Nord canadien. Enfin, il comprit très tôt l'intérêt qu'offrait la télévision en matière d'initiation musicale. Pédagogue de talent, il participa, en tant que pianiste ou que présentateur, à nombre d'émissions de la télévision canadienne, avant de tourner avec Bruno Monsaingeon une série de films dont il était le personnage central. Il disait ironiquement de lui-même : « Je suis un homme[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
PIANO
- Écrit par Daniel MAGNE et Alain PÂRIS
- 4 344 mots
- 15 médias
... (1942-2024) mêle avec bonheur les diverses époques, mais sa recherche de la perfection altère son pouvoir de communication, qui perd en conviction. Glenn Gould (1932-1982) faisait figure d'anticonformiste, cherchant toujours une approche nouvelle dans la perfection absolue, ce qui limitait ses prestations...