GNOSTICISME
Éléments d'analyse littéraire
Un terme ambigu
Le premier usage du mot « gnostique » a été fixé par les Pères de l'Église, de Justin et Irénée à Théodoret. Ce terme n'a pas été inventé par eux, puisque Épiphane mentionne, à l'intérieur de la communauté chrétienne d' Alexandrie, l'existence d'un groupe de gens s'appelant eux-mêmes gnostiques. Des non-chrétiens, tels Plotin, Porphyre, Jamblique, connaissent aussi de semblables groupes. Les hérésiologues chrétiens, par qui ont été transmis des documents qui restent de première valeur, cherchaient à établir que, parallèlement à la continuité de la « vérité » transmise par les successeurs des apôtres, existait une continuité de l'« erreur » dont les racines étaient étrangères au christianisme. Pour eux, telle erreur localisée n'était jamais isolée et soudaine, mais appartenait à une « série » ou « chaîne » d'erreurs à composantes variables. Or, étant donné que le point de départ et le noyau de ces composantes n'ont rien à voir, disaient-ils, avec la foi transmise par les apôtres, mais font partie des domaines juif, barbare ou grec, leur résultante, chez tel auteur ou dans tel écrit suspecté, ne peut être qu'adventice, « hérétique ». Ainsi, toujours selon la perspective des auteurs chrétiens, des personnalités, telles que Marcion, Basilide, Valentin, Bardesane, Héracléon, Marcos, Ptolémée, Théodote, sont décrites en dépendance de personnages, pour l'occasion exhumés des oubliettes et surévalués : Dosithée, Simon le Mage, Ménandre, Satornil, Nicolas, Cérinthe. Qui se voulait chrétien, mais chrétien « différent », se voit automatiquement débaptisé et appelé gnostique. Par ailleurs, comme l'hérétique a un nom, et un nom au pluriel, tout opuscule signé ou non devient, s'il est suspecté, représentant d'un des groupes fictifs de l'« hydre à cent têtes » de la gnose : caïnites (fils de Caïn), ophites ou naassènes (adorateurs du serpent), séthiens (fidèles de Seth), archontiques (sujets des puissances célestes), barbéliotes (dévots de Barbélo) – d'où le calembour de borborites (les boueux, ou puants) –, koddaniens ou koddanites (les « étriqués du vase », en raison de leurs pratiques alimentaires)...
Pour les auteurs ecclésiastiques, deux idées simples et connexes caractérisent la pensée de tous ces gnostiques : d'une part, le Dieu dont parlent les Écritures juive et chrétienne est le démiurge, qui a fait (très mal) les mondes et le corps des hommes – cette affirmation a pour corollaire qu'il n'est pas le Dieu véritable duquel provient l'âme humaine et qui est au-delà, dans l'inaccessible – ; d'autre part, les Écritures juive et chrétienne, qui présentent le démiurge comme le seul vrai Dieu, sont ou fausses et à rejeter, ou incomplètes et à interpréter – il s'ensuit, à titre de corollaire, qu'il faut acquérir l'interprétation des Écritures, c'est-àdire comprendre le sens vrai mais caché des paroles de révélation.
L'usage moderne du mot « gnostique » ne fait qu'extrapoler l'ancienne acception ecclésiastique. À partir des années vingt, des travaux de qualité, appliquant à la science religieuse les méthodes de la phénoménologie, étendirent le concept de « gnose » à tous les auteurs et à tous les textes chez et dans lesquels les corollaires ci-dessus énoncés – et les corollaires seulement – peuvent être vérifiés, autrement dit à la totalité de la production religieuse gravitant autour de l'ère chrétienne : religions à mystères, hermétisme, Philon, judéo-christianisme et mouvements baptistes palestiniens, néopythagorisme, néoplatonisme, littératures inter-, néo- et post-testamentaires, théologie alexandrine, monachisme,[...]
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Écrit par
- Pierre HADOT : professeur au Collège de France
- Michel TARDIEU : professeur au Collège de France
Classification
Autres références
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ADAMITES
- Écrit par Raoul VANEIGEM
- 715 mots
Terme désignant les membres de deux sectes différentes, l'une gnostique, l'autre de la fin du Moyen Âge. La première eut pour fondateur Prodicus, disciple de Carpocrate (iie s.). Soucieux d'imiter Adam avant la chute, les adamites allaient complètement nus et c'est dans cet...
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APOCALYPTIQUE & APOCRYPHE LITTÉRATURES
- Écrit par Jean HADOT et André PAUL
- 9 934 mots
...leur enseignement comme une « doctrine secrète » ; l'un des documents porte même le titre précis d'« Apocryphe de Jean ». On sait combien la littérature gnostique fut combattue comme « fausse » par les Pères ou auteurs ecclésiastiques des iie et iiie siècles ; le mot « apocryphe » devint alors synonyme... -
BARDESANE (154 env.-env. 222)
- Écrit par Richard GOULET
- 297 mots
Philosophe, astrologue et poète d'Édesse. Converti au christianisme, Bardesane (Bar Dīṣān, en syrien Ibn Dayṣān) vécut à la cour Abgar IX d'Édesse. Il composa en langue syriaque de nombreux ouvrages, dont il reste peu de chose : un Dialogue des lois du pays, retrouvé dans son...
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BASILIDE (IIe s.)
- Écrit par Pierre Thomas CAMELOT
- 269 mots
Écrivain gnostique qui enseignait, entre 120 et 145 environ, à Alexandrie au temps d'Hadrien et d'Antonin le Pieux. Il avait été l'élève, à Antioche, de Ménandre, disciple de Simon le Mage. Il composa un Évangile, dont on a un fragment, un commentaire, Exegetica (peut-être...
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