GÖBEKLI TEPE, site archéologique
Les « premiers temples de l’humanité » ?
Les constructions circulaires de Göbekli Tepe ne sauraient être interprétées comme des habitations, dans la mesure où aucun aménagement pratique et aucun vestige d’une activité quotidienne n’y ont été découverts. Il ne peut donc s’agir que de bâtiments à usage collectif et cérémoniel. C’est pourquoi ils ont été qualifiés, notamment par le fouilleur Klaus Schmidt, de « premiers temples de l’humanité ». Ce ne sont pourtant pas les premiers sanctuaires connus, du moins si l’on considère, sans doute à juste titre, que les grottes ornées du Paléolithique supérieur – certaines remontant à près de 40000 avant notre ère – avaient cette fonction. Mais ce sont les plus anciennes constructions massives et permanentes à usage cérémoniel, qui plus est de nature mégalithique. Les piliers en calcaire pèsent une dizaine de tonnes en moyenne. Leur débitage et leur transport ont donc représenté un exploit technique au regard des moyens de l’époque, compte tenu cependant du fait que le calcaire est plus facile à tailler que, par exemple, le granite des mégalithes de la côte atlantique érigés cinq millénaires plus tard. Une zone d’extraction de ces piliers a pu être identifiée à quelques centaines de mètres du site. Là, un monolithe inachevé, sans doute abandonné parce que fêlé, est encore en place.
La découverte de Göbekli Tepe est venue contredire l’image que l’on a souvent des dernières sociétés de chasseurs-cueilleurs – appelées mésolithiques en Europe – représentant de petits groupes vivant furtivement dans des campements éphémères et isolés au sein de la forêt primaire. Même en Europe, il existait des sociétés mésolithiques bâtissant et sculptant en pierre, bien que sous des formes plus légères, comme à Lepenski Vir sur les bords du Danube. Ailleurs dans le monde, des chasseurs-cueilleurs ont pu élever des structures monumentales. Ainsi, les sociétés sédentaires du Jomon au Japon ont érigé des tours massives en bois, de très grandes maisons collectives et même des menhirs au cours des derniers millénaires avant notre ère. Les Amérindiens de Louisiane ont construit de vastes levées de terre et de grands tertres en forme d’oiseaux ou de serpents, comme à Poverty Point sur la côte nord-ouest des actuels Canada et États-Unis (IIe millénaire avant notre ère). Et d’autres chasseurs-cueilleurs sédentaires, comme les Chinook, les Tlingit ou les Haïda, élevaient jusqu’au début du xxe siècle d’immenses mâts totems sculptés illustrant des animaux.
Göbekli Tepe n’est pas isolé. Trois autres sites, chacun distant d’une cinquantaine de kilomètres, ont révélé des stèles en forme de T. Outre Nevali Çori, déjà évoqué et maintenant noyé sous un lac de barrage, il s’agit de Karahan et de Hamzan Tepe, où les recherches ont été jusqu’à présent plus limitées. On peut supposer que les grandes constructions circulaires, sans doute bâties l’une après l’autre, étaient des lieux de rassemblements cérémoniels réguliers de groupes de chasseurs-cueilleurs qui, le reste du temps, vivaient dispersés sur un territoire riche en gibier, dans un lieu où des affleurements de silex fournissaient une matière première prisée pour l’outillage. S’il n’y a pas d’évidence de domestication animale, des céréales sauvages étaient recueillies. Göbekli Tepe a donc été construit et utilisé à cette période charnière où un certain nombre de sociétés de chasseurs-cueilleurs allaient basculer progressivement vers l’agriculture et l’élevage.
Avec le PPNB, au cours du IXe millénaire, ces constructions circulaires sont non seulement abandonnées, mais entièrement et systématiquement remplies de terre, ce qui les a protégées jusqu’à nos jours. Il ne s’agit donc ni d’un abandon, ni d’une destruction, mais d’une condamnation. Une nouvelle[...]
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Écrit par
- Jean-Paul DEMOULE : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France
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