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SAPIENZA GOLIARDA (1924-1996)

Dévorer le siècle

Renonçant à retranscrire telle quelle une histoire personnelle si originale, Goliarda Sapienza a choisi la voie plus difficile et utopique du récit de ce que sa vie aurait pu être.

L’Arte della gioia se présente comme une saga familiale, à mi-chemin du Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa et des Vice-Roisde Federico De Roberto. Sa protagoniste, Modesta, femme indomptée et rebelle née en Sicile au premier jour du xxe siècle, nous raconte à la première et à la troisième personne du singulier sa vie dans les méandres des épisodes les plus marquants de l’histoire italienne.

Le roman se construit à partir d’une imbrication continue d’interférences entre la vie réelle et la fiction romanesque, là où l’auteur fait interpréter à ses personnages toute une série d’événements de sa propre vie. En intégrant dans cette histoire le rapport au socialisme et au féminisme de sa mère, ainsi que l’antifascisme de son père, elle saisit l’occasion de se contextualiser et de se conceptualiser dans sa « sicilianité », celle d’une femme vitale et immorale selon les règles de la tradition. La devise de Modesta devient ainsi l’« art de la joie ». Goliarda Sapienza fait naître son double dans une famille pauvre et, après lui avoir fait éviter le couvent, elle lui offre une vie de princesse entourée d’enfants talentueux (ceux qu’elle n’a pas eu la chance d’avoir dans sa vraie vie), d’amants et de maîtresses avec qui elle partage cette joie lumineuse, très loin des habits noirs mortifères des veuves méridionales.

Dans sa manière de construire les dialogues, on retrouve toute son expérience de comédienne, son goût pour le langage de la rue et les constructions de phrases siciliennes, celles à la structure inversée, si difficiles à rendre en traduction française. C’est un hymne à la joie comme jouissance et bonheur, entonné en une langue où la pudeur implose, où l’intellect invente une introspection thérapeutique qui renverse les digues pour laisser le corps se raconter à plein rythme, à plein désir, là.

Durant les dernières années de sa vie, dans le petit port de Gaète, assise à la terrasse de son bar préféré, là où elle aime être à l’écoute des conversations les plus anodines, Goliarda Sapienza rédige ses Carnets, des pages où elle ne cesse de repenser et d’élargir les horizons de l’intégralité de son histoire. Écrites pour la plupart entre 1988 et 1992, ces réflexions proposent une nouvelle fois d’ouvrir d’autres voies à ce que peut être une existence véritable, faite de plénitude et de joie. Repenser sa vie devient pour Goliarda Sapienza le fil conducteur de ce journal qui constitue le deuxième grand volet de sa destinée d’écrivain.

— Giovanni JOPPOLO

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Écrit par

  • : professeur habilité à diriger des recherches en art moderne et contemporain

Classification

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

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    • 20 médias
    Ces années voient aussi paraître le cas littéraire qu’a représenté L’arte della gioia de Goliarda Sapienza (1924-1996), publication posthume en 1998, rapidement devenu un livre culte et parmi les plus traduits dans le monde.