GONCOURT EDMOND (1822-1896) ET JULES DE (1830-1870)
Edmond et Jules Huot de Goncourt sont dans un faux jour : une académie et un prix perpétuent leur nom sans qu'on lise leurs œuvres, qui, elles-mêmes, ont successivement bénéficié et pâti du courant naturaliste où elles sont prises. Quand on les en dégage, on perçoit d'étranges éclats, une humanité saisie en flagrant délit de bizarrerie ; mais, cette plus juste image de leur art ainsi formée, il reste encore difficile de mettre à la place qui leur revient ces œuvres provocantes, qui posent en outre l'étrange problème de la collaboration fraternelle.
Deux frères
Deux vies où il ne se passe rien, que la fin prématurée de l'une d'elles. Deux modestes rentiers, tôt orphelins, amateurs d'art et de lettres. D'ascendance lorraine, ils naissent, l'un, Edmond, à Nancy, l'autre, Jules, à Paris huit ans plus tard. Ils entrent en littérature le jour du coup d'État de 1851 par un roman inaperçu, En 18... Ils tâtent du journalisme littéraire, à L'Éclair et au Paris de leur cousin Villedeuil, et en sortent à la suite d'un procès provoqué par un article badin. Durant presque vingt ans, ils produisent des œuvres historiques et des romans sans quitter une demi-obscurité, parfois traversée de lueurs plus vives : quelques soirées mouvementées, quand, du 5 au 15 décembre 1865, des étudiants républicains chahutent leur Henriette Maréchal au Théâtre-Français. Leur fraternité exemplaire est brisée par la folie de Jules et sa mort en 1870. Edmond, dépareillé, se tait, mais une vague d'amis plus jeunes, conquis par les œuvres des deux frères, soulève le survivant qui se remet à publier à partir de 1877. Le dimanche, une jeune garde naturaliste et symboliste se réunit dans le « grenier » de la maison du boulevard Montmorency, achetée en 1868. Edmond meurt chez les Daudet en 1896. Il avait légué ses biens à une « académie » de dix romanciers fondée par lui et qui, à partir de 1903, commença à décerner le prix Goncourt.
La ligne de partage que crée la mort de Jules met d'un côté les six romans écrits en commun – Charles Demailly (1860), intitulé initialement Les Hommes de lettres, Sœur Philomène (1861), Renée Mauperin (1864), Germinie Lacerteux (1864), Manette Salomon (1867), Madame Gervaisais (1869) –, et de l'autre les quatre qui sont l'œuvre du seul Edmond, La Fille Élisa (1877), Les Frères Zemganno (1879), La Faustin (1882), Chérie (1884). Ce massif romanesque est épaulé avant 1870 par une série d'études proprement historiques consacrées à l'Histoire de la société française pendant la Révolution (1854) et pendant le Directoire (1855), à l'Histoire de Marie-Antoinette (1858) et à La Femme au XVIIIe siècle (1862). Mais déjà L'Art du XVIIIe siècle, commencé en 1859 et achevé en 1875, et le Gavarni, publié avec trois ans de retard en 1873, indiquent une autre pente de la curiosité, qu'Edmond, réduit à la solitude, suit de plus en plus avec ses études japonisantes sur Kitagarva Utamaro (1891) et Katsushika Hokusaï (1896), tandis que ses monographies d'actrices du xviiie siècle prolongent celles que les courtisanes royales, la du Barry, madame de Pompadour... avaient suscitées du vivant de son frère.
Le Journal qu'ils tenaient l'un et l'autre et que continua Edmond commence à paraître du vivant de ce dernier, non sans scandales, à partir de 1887 : les premières notes y datent de 1851 et lorsque paraît le neuvième volume, en 1896, le Journal a rattrapé l'année en cours. Mais ces neuf volumes rassemblent les moins compromettantes de ces notes : il faudra attendre les vingt-deux volumes de l'édition de Monaco (1956-1958) pour être en possession du Journal au complet.
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Écrit par
- Robert RICATTE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-VII
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Média
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