GONGSUN LONG[KONG-SOUEN LONG](env. 320-env. 250 av. J.-C.)
Dialecticien chinois, le plus grand logicien de l'époque classique, Gongsun Long a entrepris des recherches épistémologiques et métaphysiques qui sont l'aboutissement d'une longue élaboration de la logique chinoise imputable aux mohistes, tel Mozi, et à Hui Shi ou à l'« école des noms » (Mingjia). Son influence sur son époque et sur les métaphysiciens postérieurs (notamment les courants xuanxue et qingtan) a été considérable, mais son œuvre a été perdue pendant longtemps, avant d'être retrouvée, à l'époque moderne, au milieu de celles des philosophes inclus dans le canon taoïste (Daozang). Parmi les six chapitres qui composent le recueil portant son nom (Gongsun Longzi), le deuxième est entièrement consacré à son discours le plus célèbre « Sur le cheval blanc » : « Cheval blanc n'est pas cheval [...] Car si vous cherchez un cheval, on peut vous amener indifféremment un cheval jaune ou noir ; mais si vous cherchez un cheval blanc, on ne peut vous fournir ni un cheval jaune ni un cheval noir [...] C'est pourquoi, bien que le cheval jaune et le cheval noir restent identiques, ils ne peuvent correspondre qu'à « cheval » et non à « cheval blanc ». Il est donc évident que cheval blanc n'est pas cheval » (trad. Kou Pao-koh, in Deux Sophistes chinois, Paris, 1953).
C'est ainsi que, pour la première fois dans la philosophie chinoise, Gongsun Long arrive à séparer la nature de chaque espèce de sa réalité concrète et à concevoir des concepts universels. Le prétexte à cette recherche est la nécessité, avancée par Confucius, de « rectifier les noms » (zhengming). Cette même filière avait déjà été suivie par les mohistes et par Hui Shi. L'originalité de Gongsun Long réside cependant dans le fait qu'il aboutit non pas à un principe transcendant et universel, au-delà des contradictions de la réalité immédiate, mais à un système d'analyse des choses et à leur réduction en éléments simples. De plus, chez lui cette « rectification » n'a plus d'implications morales ou politiques, mais vise uniquement à créer un ordre logique. Car, tout est différent et il faut donner à chaque chose son nom correct. Le fondement de cette doctrine se trouve exprimé dans le troisième chapitre de l'œuvre, dans le discours « Sur les concepts et les choses ». Le mot « concept » (ou « signe » : zhi, littéralement « doigt ») désigne ici des essences universelles (blanc, dur, cheval) en opposition avec les choses (ou objets, phénomènes : wu). D'une construction logique très rigoureuse, ce chapitre est d'un abord difficile : « Tout objet est un signe [concept], mais le signe [signifiant] n'est pas le signe [signifié]... S'il n'existe pas au monde d'objet, peut-on parler de signe ?... S'il n'existe pas au monde de signe, l'objet alors ne peut être appelé signe [signifié]... » Après avoir ainsi déterminé l'ordre de relation entre le signe [signifiant] et son objet signifié, Gongsun Long passe à un ordre qui transcende la relation en disant que, si, dans le monde, il arrive qu'on n'ait pas besoin de signe, cela vient de ce que les objets ont déjà tous leur nom et qu'ils n'ont pas besoin d'être signifiés. On arrive ainsi à la notion de « non-signe », proche du « sans-nom » des taoïstes. Mais Gongsun Long rejette cette idée en disant : « Si vous considérez ce qui peut ne pas être signifié, comme tout est signifié, ce n'est pas correct. » Car il reste toujours une relation entre l'objet et le signe et, en conséquence, tout objet est un signe, la négation n'étant, comme chez Aristote, qu'une absence de perfection ultérieure.
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Écrit par
- Kristofer SCHIPPER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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