GOOD BYE LENIN ! (W. Becker)
L'incapacité à prendre en compte l'histoire contemporaine apparaît sans conteste comme le talon d'Achille de la production cinématographique française. Après les leçons venues d'U.R.S.S., d'Italie ou d'Amérique, c'est au tour de l'Allemagne réunifiée de montrer l'exemple et de souligner la pérennité d'une tendance qui, depuis D. W. Griffith, constitue l'une des voies royales de la fiction filmique. Good Bye Lenin ! (2003), de Wolfgang Becker, aura été un véritable fait de société en Allemagne, réunissant plus de six millions de spectateurs dans un contexte économique et social difficile, qui rendait beaucoup d'Allemands sceptiques à l'égard d'une réunification souvent perçue comme une déchéance ou un coup d'épée dans l'eau. La réelle intelligence du projet fut précisément d'insister sur la dimension symbolique de l'événement en mêlant la grande et la petite histoire, l'attachement à un passé révolu et l'amour filial – et la comédie à l'un des événements majeurs du xxe siècle.
À Berlin-Est en 1989, pendant les préparatifs du quarantième anniversaire de la R.D.A., Christiane Kerner (Katrin Sass), citoyenne modèle et mère de deux enfants, est frappée d'un infarctus au cours de l'une des manifestations qui vont aboutir à la chute du Mur. Son coma durera huit mois. À son réveil, le pays et la ville qu'elle a connus n'existent plus ; ils appartiennent désormais à ce que Stefan Zweig aurait appelé « le monde d'hier ». Mais l'état de santé de la camarade Kerner lui interdit toute émotion violente : la comédie va naître de cette contrainte, aveuglément suivie par Alex (Daniel Brühl) un fils aimant qui, quelques semaines seulement après avoir commencé de goûter à une liberté toute nouvelle, va s'ingénier à recréer dans l'appartement familial une R.D.A. en miniature. Il lui reviendra donc d'organiser le retour des vieux meubles « fonctionnels » en contreplaqué, de se livrer à une recherche frénétique des cornichons Spreewald ou du café MokaFix, d'engager de faux pionniers payés vingt marks pour entonner « Unsere Heimat », et d'orchestrer une hilarante fabrication de faux journaux télévisés. Les journées d'Alex sont bien remplies. Le mensonge hyperbolique dans lequel il s'enferre, entraînant avec lui sa sœur, ses amis et sa fiancée Lara (« ange venu d'Union soviétique », en évidente allusion au Docteur Jivago) explique sans conteste le succès d'une œuvre fondée sur le comique de situation et exploitant, à la manière d'un Billy Wilder, la logique de l'inversion : la présence de Coca-Cola à Berlin-Est est justifiée par la fusion de la firme d'Atlanta au sein du conglomérat Leipzig Cola, tandis que les images de liesse de 1989 sont mises au compte des déçus du capitalisme, venus s'installer en masse au paradis des travailleurs...
Mais la vertu satirique et métaphorique du mensonge – qui annule de fait toute accusation de sympathie à l'égard de l'ancien régime est-allemand – ne saurait expliquer à elle seule la raison de l'engouement pour Good Bye Lenin !. La belle construction imaginée par le scénariste Bernd Lichtenberg fait d'Alex le narrateur d'une histoire qui commence en 1978, époque où la solidité du Mur de Berlin n'avait d'égale que la forme inoxydable des nageuses est-allemandes. C'est aussi l'âge heureux de la famille Kerner, dont témoignent les films de famille commentés par Alex. Ces premières minutes évoquent, sans trop insister, la présence d'un père qui passera à l'Ouest au moment même où Sigmund Jähn deviendra le premier cosmonaute est-allemand. La disparition de la figure paternelle appellera inévitablement son retour – toujours associée au cosmonaute, devenu chauffeur de taxi – à la fin[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
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