GOOD BYE SOUTH, GOOD BYE (Hou Hsiao-Hsien)
Enfant, Hou Hsiao-hsien aimait « rester pensivement installé dans les branchages ». « J'y sentais le vent, j'entendais la rumeur de la circulation », ajoute-t-il. Le cinéaste taïwanais déclare ensuite que c'est « pour » ces moments-là, qu'il est devenu cinéaste. Car « seul le cinéma est capable de capturer ces moments indicibles où l'on sent l'espace autour de soi, où l'on éprouve le sentiment d'être au monde » (« Entretien avec Serge Kaganski », in Les Inrockuptibles, avril 1997).
Good Bye South, Good Bye (1997) est son dixième film, le huitième distribué en France. Même en ignorant tout de Charmante Demoiselle (1980) et de Vent folâtre (1981), parions que rien dans ses deux premiers films n'invalide le constat que l'œuvre de Hou Hsiao-hsien est travaillée par une double tentation qui consiste à regarder dans deux directions différentes, toutes deux magistralement représentées dans Good Men, Good Women (1995), film grandiose et énigmatique qui met en scène deux temporalités et permet la coexistence de deux formes distinctes de récit relatif à l'histoire de Taïwan : l'un (en noir et blanc bleuté, plombé), l'autre appartenant à une perception de l'immédiat propre au cinéaste (ici et maintenant, ce sont les couleurs, la fugacité des formes).
Good Bye South, Good Bye s'inscrit dans la lignée des films qui voient Hou Hsiao-hsien transformer le présent – à titre d'exemples, citons Les Garçons de Ferkuei (1983), Un Été chez grand-père (1984) et Poussières dans le vent (1986) –, et lui rendre, par sa pure observation, une liaison, qu'elle soit de servitude ou d'attachement, avec son propre passé, son territoire intime. La dimension rétrospective est une constante de son cinéma. Ses films extraient des images d'un temps qui lui est familier, et font ainsi jouer le recul, la distance, les déformations ou autres distorsions, les troubles de la perception, inhérents à toute mémoire, et au choix d'un mode de représentation spécifique. Ainsi un plan de Patachou, principale figure féminine de Good Bye South, Good Bye, reconstruit sa vision subjective. On la voit regarder au travers d'une montre-gadget qui fait loupe et contient des éléments flottants à l'intérieur de sa résine. C'est un beau plan, comme si la jeune femme reconstituait par le regard un lien entre sa jeunesse pathétique, sa précarité, son corps infantile, et ses perceptions, sa mémoire, le hors-champ de son personnage. On voit bien l'extrême importance du hors-champ dans Good Bye South, Good Bye, puisque saisis dans le vif et l'instantanéité de leur présence, les trois protagonistes principaux, Kao le leader (Jack Kao), Bian dit « Tête d'obus » (Lim Giong) et Patachou sa petite amie (Anne Shizoka Inoh), ont manifestement rompu leurs amarres et se laissent porter par l'impulsion d'un présent sans cesse maintenu à la lisière et dans la proximité d'un mouvement futur. Le spectateur ne connaît rien d'eux, ni de la nature des liens qui les rassemblent. À peine sait-on que Kao, qui veut « faire bouger Shanghai », élabore des plans avec Bian pour partir y ouvrir un restaurant et s'y installer avec la fragile Patachou.
Dans ses récits qui ont l'ampleur de fresques historiques, – La Cité des douleurs (1989) ou encore Le Maître des marionnettes (1993) –, Hou Hsiao-hsien choisit l'ignorance volontaire du présent, dans son absence, comme si celui-ci était mort et surtout enterré. Le cinéaste conserve toutefois la même grammaire cinématographique que pour ses narrations plus personnelles : plans-séquences, importante profondeur du champ, beaucoup de cadres fixes et une grande diversité en ce qui concerne la durée des plans.
La dissociation de l'espace et de l'histoire, spécifique au cinéma, est une particularité[...]
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Écrit par
- Marie-Anne GUÉRIN
: critique de cinéma aux
Cahiers du cinéma et àTrafic
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