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GOODMAN BENJAMIN dit BENNY (1909-1986)

Un grand professionnel de la musique

L'enthousiasme du public contraste étrangement avec les réserves que la critique – notamment française – n'a cessé d'exprimer. La déroutante indifférence de Benny Goodman devant les frontières qui séparent et opposent souvent les genres musicaux ne fait qu'accroître la perplexité et la méfiance de celle-ci.

Béla Bartók, Benny Goodman, Jospeh Szigeti - crédits : Archive Photos

Béla Bartók, Benny Goodman, Jospeh Szigeti

Son attirance pour la musique savante ne s'est pas bornée à habiller de swing en 1938 un pétulant Bach Goes to Town. De remarquables moyens techniques lui ouvraient d'autres horizons. Aaron Copland, Paul Hindemith, Darius Milhaud et Igor Stravinski lui dédient un concerto. Béla Bartók compose à son intention Contrastes pour piano, violon et clarinette, partition qu'il tiendra à enregistrer avec le compositeur et Joseph Szigeti. En 1963, Benny Goodman crée la sonate pour clarinette et piano de Francis Poulenc. Convient-il, à ce titre, de le compter au nombre des plus grands interprètes classiques de son temps ? Si son interprétation du concerto de Mozart qu'il a enregistré sous la baguette de Charles Münch est certes sans défaut, elle se révèle insidieusement froide et crispée. Un je-ne-sais-quoi de raide, de mécanique, de contraint détruit sournoisement l'admiration que devraient lui valoir une virtuosité exceptionnelle, un jeu d'une grande adresse et une sonorité des plus séduisantes.

Le soliste sera-t-il plus heureux au pays du jazz ? Benny Goodman y démontre avec brio, notamment en petites formations, sa maîtrise totale de l' instrument : aisance dans les phrases volubiles, mobilité dans le registre aigu, fluidité de l'improvisation, sens du riff, goût pour les alliages de couleurs raffinées, pour les sonorités très pures. Il construit, par petites arabesques et volutes délicates, un monde musical fait de charme, de tendresse et de douceur. Avec lui le jazz se civilise jusqu'à la sophistication. Le swing est joli, le style précieux et enjoué. Il pratique la manière des musiciens blancs de Chicago comme Franck Teschenmacher et Leon Rappolo, avec, par la suite, une sensible influence des clarinettistes noirs Jimmy Noone et Buster Bayley. Son élégance, brillante mais toujours un peu rigide, fait un curieux et parfois plaisant effet de chaud et froid avec l'éloquence passionnée des partenaires dont il a eu l'intelligence de s'entourer. Des qualités éminentes, un talent indiscutable ne lui permettent pas cependant de se laisser emporter par les humeurs et la folie du jazz. Sur ce terrain, l'imagination, la sensibilité et l'engagement d'un Johnny Dodds, d'un Jimmy Noone, d'un Sidney Bechet ou d'un Barney Bigard le dominent de très haut. Ici encore Benny Goodman est victime de sa perfection quelque peu distante et glacée.

Le chef d'orchestre a été abusivement proclamé « roi du swing ». C'est avec des arguments autrement frappants que Duke Ellington, Count Basie ou Lionel Hampton auraient pu revendiquer ce titre. Certes, le swing n'est pas absent d'une musique qui reprend la tradition de Fletcher Henderson en la pimentant d'innovations empruntées à Count Basie. Mais il n'apparaît plus que sous une forme édulcorée et conventionnelle, assimilable par un public plus avide de sécurité que d'émotion, de confort que d'invention. Benny Goodman construit avec finesse et un étonnant sens du « tube » le répertoire de son orchestre. S'il se désaltère parfois aux sources mêmes du jazz, c'est à longs traits qu'il s'abreuve aux flots sirupeux de la romance et de la chansonnette. On chercherait en vain le cri de joie ou de désespoir, la révolte qui hurle ou la confidence intime dans un style essentiellement décoratif, souvent proche du maniérisme. C'est au prix de ce péché contre l'esprit que Benny Goodman a offert au jazz un début de rayonnement universel. Éternel débat de la fin et des moyens...[...]

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Benny Goodman - crédits : MPI/ Archive Photos/ Getty Images

Benny Goodman

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Gene Krupa

Béla Bartók, Benny Goodman, Jospeh Szigeti - crédits : Archive Photos

Béla Bartók, Benny Goodman, Jospeh Szigeti

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