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BENN GOTTFRIED (1886-1956)

Aujourd'hui reconnu comme l'un des tout premiers poètes allemands de ce siècle, Gottfried Benn est également l'auteur d'une œuvre d'essayiste et de prosateur considérable. La réflexion théorique nourrit toute la production de Benn. Elle s'organise selon trois axes principaux : contestation de la pensée scientifique moderne issue du rationalisme, pessimisme historique, élaboration d'une théorie esthétique susceptible de conjurer le nihilisme. La marque de Nietzsche y est omniprésente, mais Benn intègre aussi les théories scientifiques de son temps (philosophie de l'histoire, psychanalyse, anthropologie, paléontologie, biologie, génétique, etc.). Haine de l'« histoire » et de l'« évolution », refus de la « civilisation » utilitariste, obsession de la perte des « valeurs », sentiment de l'aliénation de l'homme animent la tentative de retrouver le fondement anthropologique de l'existence, qui réconcilierait bios et logos et reconstituerait, par là même, l'unité du Moi et du monde.

L'œuvre d'essayiste de Benn est l'expression brillante et complexe de cette pensée sans système ni synthèse. Inaugurée en 1920 par Das moderne Ich, sa phase irrationnelle culmine en 1930 avec Der Aufbau der Persönlichkeit et sa contrepartie poétologique, Zur Problematik des Dichterischen, qui prône l'extension du Moi vers les couches primitives de la personnalité. L'essai sur Goethe et les sciences de la nature (1932) est l'expression achevée du refus du « physicalisme de Newton ». Mais dès 1931 l'Éloge de Heinrich Mann puis, en 1932, le Discours à l'Académie instaurent une puissance créatrice nouvelle, l'« esprit » manifesté par la « forme » (Lebensweg eines Intellektualisten, 1934). Le mirage national-socialiste semble un moment actualiser cette union de l'esprit et de la discipline ; Sein und Werden le réfute en 1935. Le problème du statut de l'esprit sera résolu par le renoncement à toute synthèse, et par l'affirmation de son antagonisme irréductible avec la vie.

Cela se produit dans le récit Weinhaus Wolf (1937), qui préfigure la « double vie » du « Ptoléméen », l'« Artiste » qui domine le réel au moyen du jeu esthétique. Les héros des principaux textes en prose de Benn sont en effet tous confrontés à l'incohérence du monde. La prose littéraire de Gottfried Benn demeure inclassable ; les qualifications génériques de « nouvelle » ou de « roman » ne sont que des informations approximatives sur la nature de ces textes qui, en outre, intègrent tous les registres du style (Gehirne-Novellen, 1916 ; Roman des Phänotyp-Landsberger Fragment, 1944 ; Der Ptolemäer-Berliner Novelle, 1947 ; Der Radardenker, 1949).

La production dramatique se concentre au début et à la fin de la carrière de Benn : Der Vermessungsdirigent, drame épistémologique, et Karandasch, drame rapide (publiés en 1919), textes expérimentaux qui radicalisent l'expressionnisme et préfigurent le surréalisme ; Drei alte Männer (1949) et surtout Die Stimme hinter dem Vorhang (1952) qui pose, dans une période d'incertitude, le problème de l'éthique et de la religion.

L'œuvre lyrique se greffe, mais sans lui correspondre méthodiquement, sur une poétologie où dominent l'idée nietzschéenne de la transcendance de l'art et le modèle mallarméen de l'avancée poétique vers le néant. Le fait poétique majeur est alors l'« expression » (Ausdruckswelt, 1949), la technique assumant à elle seule une fonction existentielle : « Le style porte en lui la preuve de l'existence » (1934). La poésie apparaît ainsi comme réunissant deux pôles extrêmes, « la transcendance de la joie créatrice » et la régression vers les profondeurs du Moi. L'aboutissement de la réflexion poétologique de Benn est la conférence[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Nancy II

Classification

Autres références

  • EXPRESSIONNISME

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    • 12 621 mots
    • 10 médias
    En 1955, revenant sur sa jeunesse dans la préface à une anthologie de poèmes des années 1910-1920, Gottfried Benn soulignait combien l'exigence d'idéal avait été, avant 1914, un principe rassembleur, une source de cohésion au-delà de la variété des ambitions littéraires et des styles d'écriture. Prise...