LEIBNIZ GOTTFRIED WILHELM (1646-1716)
Avant les monades
Logique et métaphysique
Au premier plan des instruments de la raison que Leibniz a toujours cherchés, améliorés ou constitués, il y a la logique. Leibniz est le plus logicien des grands philosophes de la tradition, selon J.-B. Rauzy, le meilleur connaisseur français de ce versant de l'œuvre. Il a reconstruit un calcul logique équivalent à l'algèbre de Boole, tout en montrant que ce calcul était en mesure d'exprimer la syllogistique d'Aristote. Mais le philosophe a su aussi se dégager « du cadre conceptuel de la syllogistique en présentant son calcul sur le modèle des Éléments d'Euclide, avec axiomes, principes, postulats et définitions ».
La redécouverte de ce splendide édifice logique, au début du xxe siècle, a parfois produit quelques erreurs d'interprétation. On a fait de Leibniz un pan-logiste, dont la philosophie était toute axiomatique, et contenue presque tout entière dans un principe logique, celui de l'inhérence du prédicat au sujet. Les recherches récentes (Hidé Ishiguro, Massimo Mugnai) ont fait justice de cette lecture simplificatrice, et montré l'intérêt que le philosophe porte aux relations, aux vérités historiques et contingentes qui ne sont pas réductibles à une identité. Il expérimente aussi d'autres réalisations comme le calcul des probabilités ou l'art des controverses, où triomphe un rationalisme plus souple (François Duchesneau) dont les principes doivent autant à la pragmatique qu'à la logique (Marcelo Dascal). Reste que la doctrine de l'inesse, qui triomphe en 1686 avec le Discours de Métaphysique destiné à Arnauld et les Generales Inquisitiones, avant de passer au second plan dans la Correspondance avec Arnauld, de 1686 à 1689, donne une grande satisfaction à l'intelligence en rassemblant dans une doctrine unique de la vérité (Jean-Baptiste Rauzy) des propositions qui ont trait à des abstraits, et des propositions qui concernent, elles, l'expérience et l'histoire. Le bel édifice du Discours de Métaphysique, même s'il n'était pas totalement cohérent (Catherine Wilson), produit donc une impressionnante première synthèse. Il ne s'ouvre pas encore à une avancée majeure comme la notion de force ou de puissance qui va par la suite mettre l'action au cœur de la philosophie de Leibniz et donner à la dynamique un rôle prépondérant.
Le principe des indiscernables
Dans le Discours de Métaphysique, les conséquences de la doctrine logique sur les individus et en particulier sur les personnes humaines sont clairement énoncées. Chaque personne créée est définie par une notion complète dans l'entendement de Dieu. Cette notion complète enveloppe la raison de tous les prédicats (événements et propriétés) de cette substance individuelle, à la manière de la loi qui régit une série mathématique, et non pas comme une liste où tout serait inscrit. La notion étant complète, puisque Dieu est une intelligence infinie, aucun prédicat ne saurait en être soustrait ni y être ajouté sans produire un autre individu. Un individu, en effet, n'est pas comme une espèce dont les prédicats peuvent convenir à plusieurs individus. Il y a nécessairement quelque prédicat qui le fait différer d'un autre individu semblable. C'est le principe des indiscernables : deux existants ne sauraient être identiques, car ils seraient substituables. Il n'y aurait alors aucune raison de les porter tous deux à l'existence, l'autre n'ajoutant rien de plus que le premier au monde créé. La raison ou ensemble des réquisits est raison d'exister : c'est une raison de préférer une combinaison à une autre, une série de choses à une autre, un monde à un autre. Les êtres abstraits – des triangles, par exemple – enferment des vérités nécessaires et éternelles qui sont vraies dans tous les mondes possibles. Un individu enferme des vérités[...]
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Écrit par
- Martine DE GAUDEMAR : professeure des Universités, professeure de philosophie à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
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