GOULAG
Trois ans à peine après la parution, en Occident, du livre phare d'Alexandre Soljenitsyne L'Archipel du Goulag (1973), le terme Goulag (pour Glavnoie Oupravlenie Laguerei, Direction principale des camps) fait son entrée dans le Grand Robert.
La reconnaissance du sigle-symbole Goulag marque un aboutissement, celui d'un long et douloureux cheminement entrepris il y a plus d'un demi-siècle par quelques esprits lucides et courageux qui avaient osé dire l'impensable : il existait des camps au « pays du socialisme ». Malgré l'afflux de témoignages accablants, notamment après la Seconde Guerre mondiale, une large majorité des élites pensantes a longtemps considéré, pour reprendre une formule célèbre, qu'« il ne faut pas désespérer Billancourt ».
Il faudra attendre les révélations venues de « là-bas », de la Russie soviétique, en 1956, puis en 1961, pour que l'opinion occidentale prenne enfin conscience de l'ampleur du phénomène concentrationnaire dans l'U.R.S.S. de Staline.
Aujourd’hui, l'ouverture des archives de l'ex-U.R.S.S. permet de préciser sur nombre de points l'image globale, « artistique », donnée par Alexandre Soljenitsyne : évolution des contingents de détenus, durée des peines, répartition des détenus par type de condamnation, flux d'entrées et de sorties, affectation économique des prisonniers et rentabilité des camps, aléas de la politique pénale, etc.
Le goulag avant le Goulag
Si le Goulag, en tant que direction administrative regroupant l'ensemble des structures pénitentiaires des différentes républiques soviétiques, date de 1934, les camps apparaissent en Russie soviétique dès les premiers mois du régime soviétique. À partir de l'été 1918, les dirigeants bolcheviques expérimentent un instrument de répression inconnu dans la Russie tsariste, le « camp de concentration ». Le 8 août 1918, Trotski ordonne la création, à Mourom et à Arzamas, de deux camps pour « les agitateurs louches, les officiers contre-révolutionnaires, les saboteurs, les parasites, les spéculateurs [qui y seront internés] jusqu'à la fin de la guerre civile ». Le lendemain, Lénine télégraphie au comité exécutif de la province de Penza : « Enfermez les koulaks, les popes, les gardes blancs et autres éléments douteux dans un camp de concentration. »
D'août 1918 à avril 1919, ces camps fonctionnent, sans aucune base légale, comme des camps d'internement administratif préventif où sont enfermés, généralement en qualité d'otages, les « éléments socialement dangereux ».
Le 15 avril 1919, le gouvernement soviétique publie enfin le premier texte établissant en détail les modalités de l'organisation des camps. Ce décret distingue deux types de camps : les « camps de travail correctif », censés inculquer « le goût de l'effort et du travail » à tous leurs pensionnaires, dûment condamnés à l'issue d'une procédure judiciaire ; les « camps de concentration », qui regroupent les individus « socialement dangereux » en vertu d'une simple mesure administrative. Aux termes de ce décret, le Commissariat du peuple aux affaires intérieures (le N.K.V.D.) devait ouvrir dans chaque province « au moins un camp de chaque type d'une capacité de trois cents places ». En réalité, les distinctions entre ces deux types de camps restent largement théoriques. Presque tous sont des camps de travail, maillon important de l'économie militarisée du « communisme de guerre ». En 1921, ils comptent près de 150 000 détenus. Le premier apogée des camps se situe à l'été de 1921 : pour mater la grande révolte paysanne de la région de Tambov, les autorités mettent en place dans cette seule province une dizaine de camps de concentration, qui regroupent jusqu'à 50 000 « otages ». Une partie de ceux-ci est déportée vers l'Extrême-Nord.[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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Média
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