GOULAG
Expansion du Goulag
Le « grand tournant » de la fin des années 1920 – l'industrialisation accélérée et la collectivisation forcée des campagnes – constitue aussi une étape décisive dans le développement du système des camps. À partir de 1929, tous les détenus condamnés à des peines supérieures à trois ans, jusqu’alors incarcérés en prison, sont transférés dans des camps de travail organisés à la hâte. On voit refleurir le discours utopique sur la « rééducation par le travail » ; néanmoins, l'objectif de cette réorganisation du système pénal est avant tout économique : pour mener à bien le premier plan quinquennal, toute la main-d'œuvre disponible est nécessaire. Comme le précise le décret du 27 juin 1929, les camps auront pour but d’assurer « la colonisation des terres septentrionales et orientales du pays et la mise en valeur des richesses naturelles de ces régions grâce au travail des détenus jusqu'à présent entretenus par l'État dans les établissements pénitentiaires ».
Les années 1930, marquées par une répression sans précédent contre la société, sont celles d'une formidable expansion du système concentrationnaire. Les effectifs explosent (150 000 détenus en camp en 1930 ; 965 000 au début de 1935 ; 1 930 000 au début de 1941) tandis que les structures se mettent progressivement en place, à l'issue d'une période d'improvisation et de désordre (1930-1933), avant d'être rationalisées en 1934.
Lors de la « dékoulakisation » de 1930-1931, 1 800 000 paysans sont arrêtés et déportés. Au cours de cette première phase, le système des camps est débordé. Les camps de la Guépéou ne peuvent « accueillir » que 150 000 à 200 000 détenus, dont plus de la moitié peinent sur le chantier pharaonique du canal Baltique-mer Blanche. Aussi la plupart des « déplacés spéciaux » (dénomination administrative donnée aux paysans déportés) sont-ils, le plus souvent, assignés à résidence dans les régions isolées et inhospitalières du Grand Nord, de l’Oural ou de la Sibérie. Ces années de totale improvisation, durant lesquelles les « déplacés spéciaux » manquent de tout (logement, outils, nourriture), sont marquées par une très forte mortalité (jusqu'à 15 p. 100 par an, et plus de 50 p. 100 pour les enfants en bas âge), par un nombre record d'évasions (au moins 200 000 en 1931) et par une rentabilité économique proche de zéro (sur les 300 000 « déplacés spéciaux » affectés à l'industrie forestière dans l'Oural en 1931, 8 p. 100 seulement travaillent effectivement aux coupes de bois). Au 1er janvier 1932, lorsque les autorités font le premier « pointage » général des déportés, plus d’un demi-million de personnes ont disparu, mortes ou en fuite.
Pour tenter de mettre fin à cette gabegie, la Guépéou reçoit le monopole de la gestion des « peuplements spéciaux » où étaient assignés à résidence les « déplacés spéciaux ». Tout un réseau de « commandatures » (administration spéciale de la Guépéou organisée par village, par district, par région) est mis en place, géré par le département des déplacés spéciaux de la Guépéou. Quelque 1 300 000 « déplacés spéciaux » (appelés « colons de travail » à partir de 1932), assignés à résidence dans une des 1 500 commandatures de la Guépéou, travaillent sous « contrat spécial » soit dans une coopérative agricole ou forestière, soit dans une entreprise chargée de l'exploitation des richesses naturelles (charbon, métaux non ferreux, or) dans les régions les plus inhospitalières du pays.
Parallèlement à ces commandatures chargées de surveiller les colons de travail assignés à résidence – mélange hétérogène de « dékoulakisés », d'« éléments socialement étrangers » chassés des villes lors des opérations[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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Média
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